17511ème jour
Du crotin devant le Concertgebouw
Après avoir discrètement échangé à
Alexander Plein une montre bi-cadran contre le fac-similé du manuscrit de la Septième Symphonie de Gustav Mahler, j'ai pris la ligne de tramway numéro 10 jusqu'à
Leidse Plein. Sur
Van Baertelstraat j'ai souri en regardant deux adolescents en train d'en prendre en photo un troisième qui faisait semblant d'uriner sur un énorme fourgon blindé de Police.
Et de fait il y avait beaucoup de policiers anti-émeute dans le quartier en raison d'une manifestation de lycéens qui avaient entièrement envahi le
Museum Plein. Le Concertgebouw était particulièrement protégé par de très nombreux policiers dont huit montaient la garde à cheval devant la porte pricipale. J'ai enjambé quelques crottins afin de prendre deux places pour un prochain concert.
Et puis j'ai trouvé chez
Broekmans en van Poppel, l'enregistrement en chinois du Chant de la Terre avec l'orchestre de Singapour.
Et puis j'ai enfin testé le sandwich au hareng que tous les amstedellois adorent.
Et puis j'ai repris l'avion de Paris.
17510ème jour
Kiev sous le soleil
Je devais être de mauvaise humeur aujourd'hui pour ne pas apprécier cette journée plutôt amusante. Le plaisir a sans doute été gâché dès le matin par le verre de jus de fruit poisseux qui collait à la nappe du petit déjeuner, par les rombières de l'Hôtel Ukraine qui m'ont expliqué que si je voulais déposer ma valise pour la journée, je devais la porter moi-même au troisième étage de l'hôtel et par les rares taxis fort désagréables et difficiles à trouver dans ce froid sibérien.
Pourtant j'ai vécu un moment très amusant en visitant les locaux d'une banque, accompagné par un énergumène à la tronche slave ne parlant pas un mot d'anglais et vétu d'un blouson de cuir noir avec un énorme col en fourrure. Et j'ai aussi pris deux fois des taxis
Volga de grosses voitures russes fabriquées à Nijgy Novgorod, au bord de la Volga précisément.
17509ème jour
La Traviata à l'Opéra de Kiev
Après les opéras de Budapest et de Prague, c'est encore à un voyage dans le temps auquel je me suis livré ce soir. Le bâtiment de l'opéra est assez beau. Détruit par un incendie en 1896, moins de trente ans après sa construction, il a été rebâti au début du XXème siècle et récemment restauré. Les affiches annoncent Отелло, Травіата, Тоска, Кармен. Le décorum des vestiaires, des toilettes, des bars d'entracte est très amusant. L'assistance est assez âgée, plutôt clairsemée. Le prix des meilleures places est à cent Hryvnia, soit moins de quinze euros.
L'orchestre, un rien bourrin attaque le beau prélude et le rideau rouge s'ouvre sur un décor classique et gentiment kitsch. Rien ne choquera le public ce soir. Les voix sont assez moyennes, mais quelle ville française pourrait aujourd'hui monter une
Traviata avec une troupe locale? Les actes se succèdent, sur-titrés en ukrainien. Je reconnais parfois une Віолетта qui s'affiche. Trois entractes où j'ai goûté un assez médiocre
Sekt local. Le public applaudit mollement et tout le monde rentre à la maison sous les flocons de neige qui tombent en abondance.
17508ème jour
Les taxis de Kiev
Prendre le taxi à Kiev est une aventure surprenante. Les taxis qui se tiennent aux abords des grands hôtels pratiquent des prix exhorbitants, en général trois fois le prix normal. Aucun taxi n'a de compteur et il faut donc s'habituer à marchander. On se met rapidement les prix en tête, le Hryvnia valant environ un franc. Les chauffeurs dorment le plus souvent dans leur véhicule, il faut taper assez fort sur la vitre pour les réveiller, et ils démarrent avec une belle énergie, à fond la caisse même, avec la radio à fond elle aussi, diffusant de la pop ukkrainienne merdique. Ils conduisent à peu près n'importe comment, le prix des contraventions étant symbolique. L'un des chauffeurs a même longé une avenue embouteillée en roulant sur le trottoir, slalommant entre des piétons plutôt habitués à l'exercice. Aux heures de pointe, on ne trouve pas de taxi. Il suffit de faire un signe au bord de la rue. En moins de trente seconde, un véhicule s'arrête et son conducteur veut simplement arrondir ses fins de mois. Là encore il faut négocier. C'est assez sympa, souvent plus confortable que les taxis, mais il est illusoire d'espérer une fiche.
17507ème jour
Kiev
L'airbus a atterri lourdement dans des turbulences glacées, sur la piste de l'aéroport de Borispol. Les voyageurs chaudement et chichement vêtus se sont précipités vers les immenses files d'attente pour le contrôle des passeports. Le hall de l'aéroport est sans charme, bondé de voyageurs et de personnes venues les accueillir. Je retire 700 Hryvnia et je prends un taxi qui fonce à 150 km/h sur une autoroute glacée vers le centre ville. Après une vingtaine de minutes, nous traversons le Dniepr extrêmement large, puis arrivons vers le centre ville. Nous passons près de l'immense statue d'une femme aux bras levés. Il y a de très beaux monastères aux coupoles dorées, des bâtiments aux couleurs pastel, à la russe, le taxi traverse la place de l'indépendance aux grands immeubles staliniens qui entourent une statue monumentale dorée. Je pense à tous ces ukrainiens natifs de Kiev qui sont partis chercher la célébrité ailleurs, à Horenstein, à Markevitch, à Boulgakov, à Sikorski, à Lifar et à Golda Meir.
Le taxi me depose devant l'Hôtel Ukraine ou rien ne semble avoir changé depuis Staline. L'accueil est peu souriant, on me remet une petite fiche où mon nom est inscrit en russe et qui me permettra d'obtenir les clefs de la chambre auprès de la garde chiourme du treizième étage. Juste le temps d'une douche et me voilà reparti dans les rues glacées de la ville.
17506ème jour
Strauss et Mozart par Karita Mattila et l'orchestre de Paris
Hier soir, alors que nous faisions la queue avec mes filles dans le hall de la salle Pleyel, une femme finlandaise nous propose de nous vendre ses places. Je lui explique que la caisse va bientôt vendre les places restantes pour dix euros et elle veut bien me ccéder les siennes au même prix.
Il est incompréhensible que la Salle Pleyel n'ait pas été pleine pour un programme aussi beau et original. Après le bref Sextuor à cordes extrait de
Cappricio, Christoph Eschenbach, hélas devenu bien rare au piano, nous a offert un magnifique quintette pour piano, hautbois, basson, clarinette et cor de Mozart. C'est la première fois que j'entendais en concert cette oeuvre que j'aime énormément et qui a des points communs très forts avec ma chère
Gran Partita.
Mais le clou de la soirée etait la danse des sept voiles et la scène finale de Salomé interprêtée par une Karita Mattila survoltée, complètement investie dans le rôle, à la limite de la folie. La salle lui a réservé une très belle et méritée standing ovation.
17505ème jour
Il y a cent ans
Il y a cent ans, le 24 novembre 1907, Mahler dirigeait sa
Deuxième Symphonie en guise d'adieu à ses "
chers Philharmoniker". Il s'agissait de son dernier concert à Vienne.
17504ème jour
Cyril III
On s'est rappelés et je suis allé le chercher à La Défense à la sortie de son travail. J'étais heureux de voir sa grande silhouette descendre l'escalator près du CNIT. Je l'ai ramené chez lui par une circulation étonnament fluide en cette fin de grève. J'aimerais bien le voir plus souvent, quotidiennement même.
17503ème jour
J. II
Nous continuons à
nous parler régulièrement, parfois en français, parfois en anglais, souvent très tard dans la nuit à cause du décalage horaire. J'aime bien sa voix très calme et souriante, on a toujours mille choses à se dire. Nous nous verrons sans doute le 14 janvier et je réfléchis déjà au programme que je lui prépare pour ces deux jours.
17502ème jour
Une dédicace
A côté de la table, m'attendait son dernier ouvrage avec inscrit sur la première page :
Pour Vincent, un Mahlerien dans l'âme, qui comme moi revit chaque jour le miracle de cette musique.
Avec ma jeune, mais profonde affection.
HL
Paris, le 19 novembre 2007
17501ème jour
Persona
Nouveau dîner chez HL. Cette fois ci, il y a quelqu'un pour préparer le dîner et le menu est plus élaboré. Après le repas, nous regardons ensemble un film en DVD extrait d'un monumental coffret Bergman qu'il a acheté il y a peu. Il choisit
Persona, un film assez expérimental aux images en noir et blanc à l'étonnante beauté plastique et où deux femmes à l'étonnante ressemblance, jouées par et Bibi Andersson et Liv Ullman, se déchirent. Le personnage joué par Bibi Andersson s'appelle Alma et la coïncidence me fait sourire. HL s'endort dans son fauteuil. A l'issue du film, je le quitte et rentre chez moi dans le froid des rues sombres.
17500ème jour
Cyril II
Discussion un peu sèche ce soir. Comme toujours, j'ai besoin de ressentir de l'envie chez l'autre et je suis toujours prêt à tout stopper dans le cas inverse. Je suis déçu de ne pas trouver de moment à passer ensemble cette semaine. Peut être tout simplement suis-je incompatible avec ce prénom que je trouve pourtant beau. Peut-être ai-je pris aussi l'habitude de jeter mon dévolu sur le plus inaccessible...
17499ème jour
Cyril I
Il est arrivé brutalement à l'angle de la rue du Cloître Saint Merri et il est monté dans la voiture. Nous nous sommes embrassés et nous avons pris la direction des Champs Elysées où je retrouvais avec amusement le
Grand Optical. Nous avons pris un verre au café Marly où j'ai tant de souvenirs, coupe de Champagne pour lui,
Alexandra pour moi, puis nous avons affronté la pluie pour nous rendre chez
Barlotti. Il a accepté de venir prendre un verre chez moi. J'ai préparé un feu et j'ai jeté deux coussins devant la cheminée. Nous sommes restés là très longtemps à faire connaissance de multiples façons. Je l'ai raccompagné chez lui et sur le chemin du retour, il me manquait déjà...
17498ème jour
Un témoin de son siècle
Je suis arrivé chez lui pour ce dîner en tête à tête. Il n'a visiblement pas l'habitude de faire la cuisine et c'était d'autant plus touchant de le voir mettre en place ce
mezze venant d'un traiteur voisin et faire réchauffer deux coquilles saint-jacques surgelées.
Nous avons beaucoup parlé bien sûr, de son passé qu'il regarde avec une nostalgie mal assumée, des rencontres qui ont jalonné sa vie, Casals avec lequel il pose sur une photo au cours d'un enregistrement, Truman Capote qu'il a bien connu à New York, Samuel Barber, Leonard Bernstein, et même Oscar Kokoschka qui a fait plusieurs fois son portrait... Et tant d'autres...
17497ème jour
Dijon Paris
Nous avons marché dans les rues glacées de Dijon. Mes russes ont acheté du Bourgogne. Nous avons repris la route. Le déjeuner avait été tant arrosé que mes russes dormaient. J'entendais clairement l'un deux qui ronflait sur le fond de
France Musique. La circulation était fluide mais à partir de Palaiseau, nous avons du quitter l'autoroute pour atteindre la Porte d'Orleans par la Nationale 7. L'un des russes m'a demandé si, sur le chemin de l'hôtel, je pouvais les déposer au
Grand Optical des Champs Elysées, afin de récupérer des lunettes. Celà m'a un peu énervé mais je n'en ai rien montré et je me suis garé avec les
warnings en haut des Champs. Cinq minutes plus tard, ils reviennent, mais la voiture ne redémarre pas; rien à faire, quelque chose qui ressemble à une panne de batterie, même si les phares fonctionnent encore parfaitement. J'ai découvert alors que l'agence de location ne m'avait pas laissé les papiers du véhicule, qui comprenaient également le numéro de téléphone de l'assistance. Et l'agence elle même était bien sûr fermée. Les russes ont ouvert le capot, tentant de comprendre les méandres de l'électronique et j'ai tenté sans succès l'assurance
Visa Premier.
C'est alors que la soirée a dérivé. Les russes ont proposé de pousser la voiture jusqu'à l'Etoile. Ca me paraissait absurde d'essayer de pousser une voiture d'une tonne et demie sur la pente la plus forte des Champs Elysées mais ils ont insisté et ils y sont parvenus. Moi au volant, quatre russes qui poussent et un qui prend des photos pour immortaliser l'instant. A ma grande surprise, deux parisiens one prêté main forte et vu la vitesse de déplacement, je suis moi aussi descendu pousser par la porte conducteur. Nous avons atteint la rue Arsène Houssaye qui est parfaitement plate et j'ai pu descendre l'avenue de Friedland en roues libres, avec les warnings et en grillant tous les feux rouges. Une place splendide m'attendait rue du Faubourg Saint Honoré.
Nous n'avons trouvé qu'un seul taxi et je suis rentré à pied à l'hôtel des russes près de la place de Clichy avec l'un d'entre eux. Nous avons bu du vin rouge au bar afin de fêter cette soirée mémorable et une nouvelle fois, les verres se sont souvent entrechoqués en témoignage d'amitié éternelle.
17496ème jour
Paris Dijon
Ce déplacement à Dijon était prévu de longue date avec cinq clients russes dont chacun des noms de famille commence par la lettre K. En raison des grèves j'ai préféré louer une voiture. J'ai eu beaucoup de mal à trouver un grand véhicule et c'est chez un loueur peu connu que j'ai déniché un
Chrysler Voyager qui permet facilement d'emmener six passagers. Nous avons quitté Villepinte et avec les embouteillages de ce jour de
Zabastofka, nous avons mis plus d'une heure trente pour atteindre Fontainebleau. En regardant la carte, j'ai pensé que la ville limite pour s'arrêter dîner était Sens.
Nous avons trouvé là bas un petit restaurant au bord de la Vanne. Foie gras chaud, trou bourguignon, biche aux airelles, fromages du cru, tarte Tatin, un vrai morceau de France pour mes russes avec lesquels j'ai bien évidemment trinqué une vingtaine de fois, et qui m'ont permis d'améliorer mon si faible vocabulaire russe.
Nous avons repris la route pour arriver vers 1h30 à Dijon, par les miracles du GPS.
17495ème jour
Mon premier kazakh
Il était blond aux yeux très clair et avait l'air d'un russe blanc. J'ai trouvé une table disponible et nous avons parlé de projets en commun. Il n'est pas exclu que j'aille l'an prochain au pays de Borat.
17494ème jour
Villepinte
Comme chaque année depuis quatre ans, je me rends à ce salon professionnel au Parc des Expositions. Comme chaque année, je me gare sur l'un des immenses parkings et je me joins aux groupes des costumes tristes issus du monde entier qui s'approchent des petits wagons automatisés qui emmènent les visiteurs du Parking aux halls d'exposition. C'est un truc absurde, un jouet d'ingénieur qui pourrait avoir sa place à
Eurodisney et qui démarre avec une accélération absurdément élevée, vu la vitesse de croisière atteinte. Cette fois-ci les wagons sont en panne, bloquant une trentaine de visiteurs qui ne peuvent sortir. Je les dépasse à pied et j'aperçois dans le premier wagon un collègue que je nargue d'un SMS.
17493ème jour
Envie canine
Dans un château aux alentours de Paris avec des clients. A chaque pause, j'allais dans le jardin pour jouer avec un
Golden Retriever de quelques mois, espiègle et joueur. On s'entendait à merveille jusqu'à ce qu'il attrape ma cravate Paul Smith et qu'il tire dessus avec beaucoup de conviction. De fait je dois confesser que je ne lui en ai même pas voulu...
17492ème jour
Un concert
La salle était petite, essentiellement remplie d'amis. Il est arrivé avec sa pianiste et s'est installé au micro. C'est un moment rare que de voir un ami chanter pour la première fois en public. Je garderai le souvenir d'une très jolie chanson
Vous deviez être belle, Madame, dont je suis sûr qu'elle pourrait très bien marcher. Tout au long du concert, des problèmes techniques, mauvais retour son, piano trop fort par rapport à la voix- auront gâché une bonne partie du plaisir qu'aurait du être ce premier récital. Julien, j'espère que tu garderas confiance en toi et que bientôt tu riras de tout celà...
17491ème jour
Un dîner
Un dîner fort agréable avec Gaëtan et mes filles dans le petit restaurant japonais à côté de chez moi. Gaëtan vieillit doucement et me fait la confidence de ses petits soucis de santé. "
Tout se déglingue", me dit-il en souriant. Je le regarde avec affection, je songe à toutes ses années écoulées depuis notre première rencontre, je songe aussi que je le suis de peu dans le tournis des jours et je me promets intérieurement d'aller le visiter l'année prochaine à Montreal.
17490ème jour
Istanbul
Rendez-vous chez l'un de mes vieux clients à Istanbul, dans l'immmeuble où jadis,
un participant d'une réunion très sérieuse nous avait fait entendre Yo-Yo Ma. Avec le temps, la relation avec ce client est devenue amicale, avec un rien de complicité. Keman Bey nous regarde à travers son grand bureau, tel un gros chat avec des yeux plein de malice derrière ses petites lunettes d'acier. Au mur, le portrait habituel d'Ataturk. Sur la table basse devant le canapé où nous sommes assis, des boîtes de chocolat. Sa secrétaire n'étant pas encore arrivée, Keman Bey nous emmène à la machine à café. Nous devisons sur les noms turcs des boissons chaudes qui me reviennent facilement :
Khavé, Tchaï, Ortasheker...
J'aurai toujours une relation spéciale avec cette ville...
17489ème jour
Thalès, Istanbul et le Mont Athos
Au cours de cette semaine entre Berlin, Dubai et Istanbul, j'ai lu le très agréable roman qui a reçu le grand prix de l'Académie française : Ap. J.-C. de Vassilis Alexakis. Tout au cous de sa lecture, j'ai pensé que ce livre plairait particulièrement à Alice. En voici quelques extraits :
J'ai cependant été ému lorsque Thénao nous a révélé de quelle manière Thalès, qui vécut entre le VIIe et le VIe siècle, calcula la hauteur des pyramides: il planta son bâton dans le sable et, au moment précis où l'ombre de celui-ci devînt égale à sa longueur, il mesura l'ombre des monuments.
Un philosophe présocratique du nom de Clinias, à la question : "Quand devons nous tomber amoureux?" répond :"Quand nous voulons souffrir."
Le jour où l'on célèbrerait Thalès, on examinerait son assertion selon laquelle la mort n'est pas différente de la vie. "Alors pourquoi ne meurs-tu pas? lui demanda quelqu'un par défi. "Mais précisément parce qu'il n'y a aucune différence!" répondit-il.
17488ème jour
Dubai en hiver
A Bucarest jeudi, j'avais la chambre 306. A Berlin ce week end, j'avais la chambre 407. A Dubai, en arrivant à l'hôtel, on m'a donné les clés de la chambre 404. Je me demande si ce tiercé Peugeot se poursuivra à Istanbul demain soir.
En attendant, c'est ma première fois à Dubai pendant l'hiver. Il y a trois heures de différence avec Paris, et la température est parfaitement agréable avec 27 degrés.
17487ème jour
Ah! ce dimanche à la Philharmonie!
Je suis ressorti totalement ivre de musique après ces neuf heures de concert à la Philharmonie, à la fois à cause de la longueur du marathon, mais aussi de l'altitude des sommets vers lesquels les musiciens nous ont entrainé. Je n'ai ni déjeuné ni dîné au cours de cette journée, juste pris un bretzel entre deux concerts.
Le fil conducteur de ces concerts était le clown
Dimitri qui, malgré ses soixante dix ans bien sonnés, apportait une note décalée et poétique à la journée, en voulant systématiquement participer à chaque concert. On l'aura vu successivement jouer d'instruments de clown au milieu d'un ballet symphonique grinçant de Shostakovich, venir nettoyer les instruments des musiciens, flanquer dehors les cornistes de la
Plaisanterie musicale de Mozart, prendre la place de Rattle qui quitte le podium pour répondre à un appel téléphonique, et finir en beauté en jouant plutôt bien la partie soliste d'une absurde pièce pour piccolo et orchestre accompagné par les
Philharmoniker au grand complet.
Malgré de grands panneaux incitant à éteindre les portables, les allemands sont encore plus indisciplinés que les français
et nous avons eu droit à un véritable festival de sonneries. La veille, Rattle a même du interrompre le
Chant de la terre et reprendre au début du deuxième Lied.
Gratuité oblige, le public était particulièrement inculte, applaudissant à tout bout de champ, entre chaque mouvement de la
Gran Partita et deux fois au beau milieu des
Tableaux d'une exposition.
Le concert des
Berliner Barock Solisten s'est achevé par une pièce un peu grotesque mais très amusante qui a entraîné dès son démarrage des applaudissements de délire. Renseignement pris auprès de ma voisine, il s'agissait du générique de
Miss Marple.
L'
Histoire du soldat fonctionne particulièrement bien en allemand.
Berlin ich liebe dich.
17486ème jour
Un lundi comme un autre
Après trois jours de grisaille, il faisait beau ce lundi matin à Berlin. Vers onze heures, j'ai pris mon taxi pour l'aéroport de
Tegel, d'autant plus à regrets que le soir même, Francesco Tristano Schlimé jouait à la
Philharmonie et que Mika chantait à la
Columbia Halle. Mais comme le dit un ami que j'aime, "
Vincent, je ne peux pas être partout..."
A Tegel, les contrôles de sécurité sont particulièrement pointilleux, le mec m'a quasiment mis la main dans le pantalon pour vérifier que rien ne s'y dissimulait. Devant moi, un énorme type visiblement buveur de bière passait le contrôle. Le scanner a signalé un liquide dans son bagage à main. Le type, très ennuyé, a montré une jolie fiasque à cognac. On lui a expliqué qu'il devait soit en jeter le contenu, soit la boire. Ni une ni deux, le gros n'a pas hésité. Il s'est assis derrière le scanner et a sifflé son cognac en public. Il y avait une odeur plutôt agréable lorsque je l'ai dépassé.
A bord de l'Airbus j'ai une place E. Un mec péroxydé, très efféminé et vêtu d'un manteau noir échancré avec un col en fourrure beige pâle s'est assis à ma droite, à la place hublot. A peine avions nous décollé, il a ouvert fébrilement sa valise, pris un morceau de papier et a écrit : "
I am back in Berlin on Nov 27th. In the meanwhile, my email adress is...." Un bref instant, j'ai cru être le destinataire du billet, mais mon voisin l'a fait passser par l'intermédiaire d'un autre passager à un jeune homme brun qui, quelques instants plus tôt, arborait dans la salle d'attente un chapeau de cuir noir du plus mauvais goût.
Vers 16h00, je suis chez moi, le temps de faire ma valise pour le soir.
A 19h30, Volker sonne à la porte pour un rendez vous dont il était prévu qu'il soit bref et intense. A peine un verre avalé, et alors que nous écoutions le CD des
zwölf Cellisten acheté la veille à Berlin, j'étais à genoux devant lui à lui donner le plaisir qu'il était venu chercher. Nous avons joui simultanément sur mon lit, une heure plus tard.
A 21h15, j'embarquais dans un taxi pour attraper le dernier vol de Dubai.
17485ème jour
Les 125 ans de l'orchestre Philharmonique de Berlin
Un soir d'octobre 1982, j'étais resté scotché dans ma chambre d'étudiant, et j'avais écouté une soirée mémorable radiodiffusée par France Musique en direct de la Philharmonie de Berlin. Les
Berliner Philharmoniker fêtaient leur cent ans. le bal était mené par Seiji Ozawa, avec la participation d'invités prestigieux et celle de Loriot, un humoriste très connu outre Rhin. Le présentateur de France Musique avait eu du mal à nous expliquer tout ce qui se passait sur scène et notamment lorsque Yehudi Menuhin avait dirigé le début de la
Cinquième de Beethoven avec les pieds, en position yoga.
Vingt cinq ans plus tard, je ne me doutais pas que je participerais totalement par hasard au nouveau jubilé de l'orchestre, celui des 125 ans. C'est un peu incrédule que j'ai découvert le programme de cette journée incroyable avec quinze concerts gratuits dans la grande salle et presque autant dans la
Kammersaal. Vers neuf heures le matin, il y avait déjà du monde pour braver le froid berlinois et être certain d'avoir sa place pour la journée. Je n'ai pas regretté mon attente et je suis sorti ivre de musique à l'issue de ce marathon musical au cours duquel j'aurai entendu, entre autres :
- L'ouverture des
Maîtres chanteurs dirigé par Simon Rattle
- Quelques transcriptions magiquement interprétées par le pupitres des violoncelles
- D'autres transcriptions d'opéra par les huit cors de l'orchestre
- Une
Glenn Miller suite au swing bluffant par les cuivres de l'orchestre
- L'histoire du soldat
- Une
Gran Partita apollinienne conduite avec panache par le hautbois d'Albrecht Mayer
- Une belle transcription pour orchestre de chambre des
Tableaux d'une exposition
- Et un
Sacre du printemps de feu et de larmes conduit par un Simon Rattle incandescent.
17484ème jour
Lorsque Thomas remplace Thomas, un concert à la Philharmonie de Berlin
Il ya fort longtemps que j'ai envie d'entendre Thomas Hampson dans le
Chant de la terre, sans doute depuis ce concert de 1995 à Amsterdam, auquel je n'assistais pas, mais dont le disque laisse le souvenir inouï. J'avais donc pris une place et un billet d'avion pour ce week end à Berlin. C'est toujours un plaisir pour moi de revenir dans cette salle où j'ai mes habitudes depuis dix huit ans. Le concert démarrait par une oeuvre de Thomas Adès,
Tevót. Je n'ai jamais été un grand enthousiaste de Thomas Adès qui a la chance d'avoir un fervent supporter en la personne de Simon Rattle et dont j'avais entendu quelques oeuvres lors du festival
Présence de l'année passée. Le concert de ce soir ne m'a pas fait changer d'avis.
Tevót est une oeuvre assez longue, à l'effectif instrumental fourni, qui donne l'impression d'être totalement statique, l'atmosphère évoluant très lentement d'un environnement à un autre, même si l'on démarre dans un bruissement un peu stridant et que l'on passe par un fortissimo des plus impressionnants. Je réagis mal à cette musique qui dégage à mes yeux un ennui profond.
Après l'entracte, à ma grande surprise, Ben Heppner entre en scène avec Thomas Quasthoff et c'est donc à l'un des premiers
Chant de la terre de ce dernier que nous avons assisté ce soir. Je suis resté un peu sur ma faim à l'issue de cette interprétation de haut vol. Thomas Quasthoff, dont le volume vocal n'a vraiment rien à envier à celui de Heppner n'est pas vraiment dans la tessiture de l'oeuvre, il atteint ses limites dans les aigus, là où Hampson aurait fait merveille. Il y a eu cependant des moments extraordinaires, en particulier les solos de flûte de
der Abschied où Emmanuel Pahud nous tire des larmes, tant il est inspiré dans ce passage redoutable.
A l'issue du concert Heppner et Quasthoff saluent côte à côte et l'association nu nain et du géant crée une émotion palpable, faisant penser que les voies du talent sont bien impénétrables.
17483ème jour
Berlin
Sept mois après le séjour précédent, la ville est grise, on ne peut voir le sommet de la tour de la télévision d'Alexander Platz tant le brouillard est épais. Je retrouve mes marques,
Oxymoron,
Düssmann, le café
Einstein. Même la girafe en
Lego de Potsdamer Platz est encore là.
17482ème jour
BHT
Réunion de travail dans un hôtel de Bucarest. Nous défendons une réponse à un appel d'offres important. Le client a une longue liste de questions dont la trente cinquième est :
Pourquoi parlez vous de la BGR au paragraphe 10.5.2.4 de votre proposition, et non de la BHT? Je regarde mon collègue d'un air narquois, à l'autre bout de a table, mais il me fait signe qu'il n'y est pour rien et je présente platement nos excuses.