16020ème jour
Soif
C'est le jour de la rentrée des classes. Ma fille aînée dort sur un lit muni de deux grosses roulettes d'un côté, et de poignées de l'autre, un peu comme une brouette. Je l'emmène à travers les rues, alors qu'elle est est éveillée et accroupie sur le lit. Nous arrivons l'école. La porte de sa classe se referme sur le dernier élève. Elle est encore en chemise de nuit mais elle se glisse intimidée à l'intérieur, me laissant seul avec le lit devant l'école.
Je laisse le lit là où il est est et je rentre chez ma mère. J'ai soif. Lorsque j'arrive, elle s'active dans la cuisine et me dit, la bouche pleine : "Je suis en train de te préparer du jus de pamplemousse". Je lui dit très agacé : "Maman, je t'en supplie, ne me parle pas la bouche pleine." Je l'entends maugréer : "Le chameau, il peut encore compter sur moi pour lui préparer quelque chose."
Je me réveille d'un coup. Je ne sais plus trop où je suis alors que je suis chez moi. J'ai soif. J'ai très envie de jus de pamplemousse mais je n'en ai plus. Je bois de longues gorgées de
Badoit. Je n'ai plus sommeil. J'en profite pour graver un CD des meilleurs tubes de Jacques Dutronc que ma plus jeune fille m'a demandé hier par un message vocal assez loufoque. Dans quelques heures je vais prendre la route vers le sud et le froid, pour passer deux jours près de mes racines dans cette ville que je n'aime pas. A dimanche.
16019ème jour
Louis
Une petite rue perdue entre le cimetière du Père Lachaise et les Buttes Chaumont. Le Numéro 23, peu de monde. Une porte, un escalier qui descend. Une petite scène. Peu de place pour le public dans un espace entouré de quelques marches.
A 21h15, il arrive sur scène. Pantalon gris, tee-shirt blanc et veste noire. Il est beau, beaucoup plus beau que sur la couverture de son CD où il ne ressemble qu'à un beau dandy indifférent. Il chante, il chante beaucoup mieux que sur son CD au son un peu aseptisé. Les chansons ont un beau son rock français. Il bouge bien, il a visiblement plaisir à être sur scène face à son premier public, le premier d'une longue carrière.
Et si l'amour n'existe pas, dis moi pourquoi...
Dis moi pourquoi et où ça...
J'irai me perdre sur les routes d'Alabama...
Sans toi... ton coeur qui bat, là ... contre ma joue.
Une reprise de Leonard Cohen, une autre de Moloko, un hommage à Romy, un air d'harmonica. Nous repartons tout tristes qu'un moment magique soit déjà parti.
Big Ben s'éteint sur les avenues de Berlin.
Bonne chance
Louis.
Post scriptum pour mes
compagnons de concert:
Stéphan Bern accueillera Louis dans son émission "Le fou du Roi" le vendredi 14 novembre (ouvert au public).
16018ème jour
De mes petits désagréments
Ma société est implantée sur plusieurs sites à La Défense. Disons que je travaille dans une tour A et j'avais donné rendez-vous à un client à une tour B pour une réunion de travail de matin. A 9h30, le client m'appelle sur mon portable. Il est à l'accueil. Je descends au rez-de-chaussée. Personne. Subodorant l'erreur je tente de le joindre. Je n'ai pas son numéro de portable et j'appelle donc le standard de la tour A. Je demande à la standardiste si elle a bien Monsieur S. devant elle. Elle me répond que oui. Je demande à parler à Monsieur S. Elle :
"Monsieur Eszed, scuzez moi, j'arrive pas à prononcer vot'nom, c'est pour vous." Je présente mes excuses à Monsieur S. et lui explique que je viens le chercher. Dix minutes à pied aller par un froid polaire sans manteau et dix minutes retour toujours sans manteau mais avec Monsieur S. et le même froid polaire.
Fin de la réunion.
J'avais prévu des plateaux repas vers midi, mon client devant partir vers treize heures. A midi quinze, je m'inquiète de ne rien voir venir. Je retourne à l'accueil de la tour B qui n'a rien vu non plus. Je vocifère quelques appels téléphoniques, pour comprendre que les plateaux ont été livrés par erreur à la tour A. Je re-vocifère et exige une relivraison. A treize heures quinze, rien. Je rappelle mais les plateaux n'avaient pas bougé de leur emplacement précédent.
Ca s'est fini à la cantine de la tour B. C'était mauvais ce qui était prévisible.
La madame chargée de servir les cafés a maugréé car il était tard. Pendant que nous buvions le breuvage chaud, elle a violemment nettoyé son bar avec un produit d'entretien malodorant. Puis elle est partie nettoyer les tables en chantant l'
Ave Maria de Schubert (ou peut-être celui de Gounod, je ne sais plus).
Il y a des jours où j'ai envie de changer de métier.
16017ème jour
Mon post le plus cher
En essayant d'écrire ce matin, je me suis rendu compte que la plume de mon stylo n'avait pas soutenu le choc contre les pavés de l'Etoile. Totalement déformée. Je n'ai décidément pas de chance avec les stylos.
16016ème jour
Le stylo ou la vie
La scène se déroule il y a juste une heure place de l'Etoile. Je me trouve près de la tombe du soldat inconnu, le téléphone à la main.
Mennuie est au bout du fil. Il se tient face à moi à l'angle de l'Avenue des Champs Elysées et de l'Avenue de Friedland. J'hésite à reprendre le tunnel piétonnier ou à traverser la place à pied, au milieu du trafic des voitures, plus calme qu'en journée. Une accalmie et je me lance... Au milieu de la traversée j'entends le bruit d'un objet qui tombe au sol. Il ne s'agit pas de mon Nokia. Je l'ai encore à la main et je suis en communication. Je me retourne. J'aperçois le capuchon doré de mon stylo. Je me penche pour le ramasser. Je cherche le reste du stylo, plus difficile à apercevoir dans la nuit car le corps est bleu sombre. Je fais quelques pas en arrière. Je l'aperçois, je m'en saisis. Je vois la file des voitures à l'arrêt sur les Champs Elysées qui s'élancent quand le feu passe au vert. Visiblement ils m'aperçoivent car ils ralentissent. Je rejoins le trottoir. Je ne suis pas mort ce soir. Quoique. Si je suis mort, qui va me prévenir?
16015ème jour
La vache
Ce n'est pas vraiment un ami, mais je l'ai rencontré à plusieurs reprises chez des amis. J'avais remarqué qu'il aimait beaucoup danser en se regardant dans le miroir placé au dessus de la cheminée. Je l'avais salué en boîte aussi, à plusieurs reprises. J'ai même fait un karaoké avec lui.
Et depuis quelques semaines je l'aperçois à la télévision puisqu'il fait partie de la
Star Académy. Ca ne doit pas être très drôle de se faire engueuler comme un gosse par des profs débiles devant des caméras de télévision et de ne rien pouvoir dire.
Et puis ce matin, en ouvrant une boîte de
Vache qui rit, j'ai trouvé un petit carton avec sa photo. Et là, j'ai vraiment eu pitié.
16014ème jour
Le Trouvère
J'ai une relation bizarre avec l'opéra
Le Trouvère. Je connais certains airs depuis très longtemps. En particulier le
Choeur des Bohémiens du début du Deuxième acte. Mes parents devaient l'avoir sur un vieux 33 Tours de choeurs d'opéras de Verdi. J'ai l'impression de le connaitre depuis toujours.
J'étais adolescent lorsque j'ai ensuite découvert le fameux air de Manrico
"Di quella pira" à la télévision. En effet, cet air est chanté au tout début du
Senso de Visconti au cours d'une scène tournée dans le théâtre de la Fenice. Les italiens qui se trouvent au balcon interrompent l'air en jetant des petits papiers tricolores sur les officiers autrichiens qui occupent le parterre. Je me souviens d'avoir entendu cet air, de l'avoir aimé, sans savoir ce que c'était, sans doute alors que ce film était diffusé au Ciné-club d'Antenne 2. Si vous avez le courage, vous pouvez en entendre un extrait
ici, chanté par le grand Caruso vers 1910 et accompagné au piano.
Beaucoup plus tard, j'ai découvert l'opéra dans son entier dans l'extraordinaire version de Karajan au festival de Salzbourg 1962. En particulier l'air de Leonora du Quatrième acte
"In quest'oscura" chanté par Leontyne Price. Un moment incroyable que j'ai du écouter en boucle pendant des semaines.
C'est en repensant à tout celà que je suis allé avant-hier soir à l'Opéra Bastille pour la
première du Trouvère. Une mise en scène et des décors affligeants ne m'ont pas empêché d'admirer Roberto Alagna dans le rôle de Manrico, à qui la salle a fait un triomphe mérité.
16013ème jour
16012ème jour
Trop ouf
Dans les dernières expressions à la mode, celle qui m'a bien fait marrer est
"c'est trop de la balle" et ses variantes :
"c'est trop de la balle de ouf" et
"c'est trop de la balle atomique de ouf". Aussi j'ai été assez surpris l'autre soir lorsque ma fille aînée ma sorti au naturel, la première d'entre elles. Quant à ma fille, ce qui l'a surprise, c'est que je connaisse les variantes et que je m'en amuse. Elle a ajouté que ce qui est supra-branché en ce moment comme expression c'est
"ça pête le style" (prononcer
style à l'anglaise
[staïl].
Voilà.
Putain! Ca me fait kiffer tous ces mots.
16011ème jour
Un message d'Alice
Il y a deux jours, en rallumant mon Nokia, je reçois un message vocal. La voix est chevrotante, mais reste autoritaire. Je le reproduis in extenso :
"C'est pour dire à Madame Noël, elle ne m'avait pas rebranché mon four a micro onde (silence...)
avant de partir. Elle a du le débrancher pour repasser ce matin .... Et puis maintenant j'aurais voulu mon four à micro-ondes et je ne peux pas m'en servir. Je l'ai rebranché et il ne marche plus. Alors qu'elle me rappelle... aussitôt qu'elle pourra...
Dans un sentiment louable, j'ai aussitôt rappelé Alice au 0x-26-89-04-37 pour lui dire qu'elle s'était trompé de numéro. Alice s'en était rendu compte. Elle m'a sobrement remercié et a tenu à me raconter l'histoire en entier. Je l'ai à mon tour remerciée de me permettre d'alimenter mon blog. Je ne suis pas sûr qu'elle ait tout compris. Mais en tout cas, je garde pieusement le précieux message et plusieurs amis ont failli s'étouffer de rire en l'écoutant.
16010ème jour
db
Hier soir
m@nu m'a fait une jolie surprise. Il m'a offert un petit carton jaune avec marqué dessus, David Bowie, Reality, Bercy et la date du jour. J'espère que je ne sentais pas la poubelle lorsque nous sommes entrés dans le lieu plein à craquer.
Première partie, les
Dandy Warhols, dont j'avais découvert le nouveau CD,
Welcome to the Monkey House à sa sortie en début d'année. Je suis déçu par un son très brouillon, une voix qui se mélange trop aux instruments, une trompette imprécise.
Entracte, la tension monte. Le concert commence par une sorte de dessin animé du Band de Bowie qui joue
Jean Genie. Peu à peu, les personnages du cartoon sont remplacés par les vrais, filmés, puis les musiciens entrent enfin en scène en passant un à un devant l'immense écran.
C'est parti. La voix est parfaite, la complicité avec les musiciens totale. Un tiers de
Reality, un tiers de
Heathen, et un tiers de tubes d'avant.
Je me souviens d'un
New Killer Star musclé et stimulant, d'un
Cactus enjoleur, d'un
China Girl séducteur, d'un
Hallo Spaceboy violent, d'un duo incroyable avec sa guitariste Gail Ann Dorsey dans
Under Pressure, d'un
Never Get Old endiablé, d'un
5:15 rêveur, d'un
Heathen qui finissait par le piano jazzy splendide de Mike Garson, d'un
Loving the Aliens serein et méconnaissable, d'un
Let's dance repris en folie par une foule en délire, d'un
Ziggy, puissant et nostalgique à la fois...
Je me souviens de ma voisine de gauche qui n'aimait pas l'odeur de notre cigarette.
Je me souviens d'avoir remercié
M@nu pour ce cadeau qui fait partie de ceux dont on se souvient toute une vie.
Je me souviens d'avoir eu déjà envie d'être à Nice dans 14 jours pour les réentendre.
16009ème jour
Aloïs II
Ce matin j'ai accompagné mes filles à l'école et je n'étais pas très bien réveillé. En partant, j'ai pourtant pensé à prendre dans un sac des vêtements pour un concert auquel je vais peut-être assister ce soir et auquel je n'ai pas envie d'aller habillé en pingouin. Après avoir les avoir quittées à l'école, je me rends compte que je n'ai plus le petit sac de vêtements à la main. Je réfléchis... Il n'y a qu'une solution possible : je l'ai mis dans la poubelle de l'immeuble avec les autres déchets. Je presse le pas. Ils y étaient encore. Ouf. Et n'imaginez pas que j'invente ça pour alimenter ces pages. Je n'ai même pas cette excuse.
Eloignement
Vendredi, j'ai envoyé un mot à P. pour son anniversaire. J'ai longuement hésité entre plusieurs formules introductives :
"tu t'es éloigné de moi",
"je me suis éloigné de toi",
"la vie nous a séparés", pour choisir en définitive un sobre : "
nos chemins se sont éloignés".
J'ai un avis très précis sur ce qui nous a séparé, sur son pourquoi. Mais est-ce bien important...
Je lui ai souhaité d'être heureux. C'est cela qui est important après tout.
La vie est si belle.
16007ème jour
Avec le temps
Dans une interview, Larry Clark, le réalisateur de
Ken Park, déclare : "
On se figure toujours qu'on est jeune. Et puis un jour, on vous tend un miroir ou on vous prend en photo et vous vous dites : Putain, mais qu'est ce qu'il s'est passé?!"
Ceci m'a rappelé un texte que j'avais lu en cours d'anglais il y a très longtemps où un américain racontait le voyage en train depuis Paris jusque dans le midi de la France. Il disait que Lyon était incontestablement une ville du Nord, puis que le paysage défilait, qu'il y jetait un oeil entre deux pages de son livre. Et que quelque part, entre Montelimar et Valence, tout d'un coup en levant le nez, il s'était rendu compte qu'il était déjà entré en Provence sans même s'en être aperçu.
J'ai la candeur de ne pas avoir encore ressenti le coup du miroir ou celui de la photographie. Mon âge, je le ressens surtout dans le regard des autres ou par des attitudes plus respectueuses venant de la part de post-ados dont j'ai la bêtise de me croire encore proche.
Et puis ca m'amuse de songer que le berceau de ma famille se trouve précisément dans la Drôme provencale, dans cette zone de frontière entre le Nord et le Sud. Mais je sais que je dois m'y préparer. Un jour, je verrai mon image et je me dirai.
"Ca y est! Tu l'as dans le cul, pépère."
16005ème jour
Routine
Ce matin à bord du TGV de Paris à Lyon, je suis dans la voiture 2, place 31. L'un des jurés de Popstars cherche à se faire remarquer en se cachant derrière des Ray-Ban foncées.
Ce soir à bord du TGV de Lyon à Paris, je suis dans la voiture 2, place 32. Martin Bouygues, sans doute de retour du procès Noir, se fait discret derrière ses lunettes blanches.
16004ème jour
Ein bitterer Geschmack
Il ressemblait un peu à Jean-Pierre Coffe. Il a longtemps porté sur la tête des grappes de raisin. Il lui a promis tout ce qu'elle voulait en échange d'une danse et bien sûr elle a accepté.
Elle avait longtemps tenté d'obtenir ce baiser.
Ich will deinen Mund küssen! Et pour l'obtenir elle a dansé sept fois. Ôtant autant de voiles que de danses et se retrouvant nue devant nous au terme de la septième. Elle a alors exigé ce qu'elle voulait :
Ich will den Kopf des Jochanaan. Sept fois également elle réclamera le salaire de ses sept danses.
Et Jean-Pierre Coffe-Hérode devra tenir sa promesse. Et lui offrir la tête de Saint Jean Baptiste sur un plateau d'argent.
Elle embrassera goulument la tête tranchée avant que son beau-père ne décide de la faire exécuter elle aussi.
Par la grâce d'Oscar Wilde et de Richard Strauss, quatre vingt dix minutes de sensualité, de violence et de de décadence sur la scène de l'Opéra Bastille.
16003ème jour
La maison au bord de la mer
C'est une belle maison sur une petite butte qui domine la mer. Je l'ai connue pour la première fois il y a tout juste vingt ans à l'occasion d'un bel été qui m'avait aussi conduit au Québec et à New York, au son du tout nouveau
Let's dance et de
China Girl.
Elle a été construite il y a quarante ans par les parents de deux amis de cette époque. Ceux-ci, jeunes mariés voulaient une maison au soleil. La légende raconte qu'il avaient trouvé ce terrain et qu'ils ont dessiné le premier plan de la maison un peu en contrebas, sur le sable de la plage.
Elle est d'ailleurs fort bien conçue : deux ailes indépendantes réunies côté jardin par un patio et côté mer par un living. Et puis une immense terrasse où par temps clair on voit parfaitement le rocher de Gibraltar et parfois même les côtes marocaines. La vie m'a peu à peu éloigné de ces deux amis de mes vingt ans. Je suis en revanche resté très proche de leur mère, devenue veuve et dont j'admire profondément la grande énergie. Elle m'a souvent invité à passer quelques jours d'été là bas et je me suis attaché à cette maison.
Et puis, dimanche dernier elle m'a dit qu'elle avait pris la décision de la vendre. La maison va devenir la proie des promoteurs qui ont déjà bien bétonné la
Costa del Sol. Cela m'a rendu triste, comme lors de chaque page qui se tourne.
16002ème jour
Aloïs I
Ce matin, en partant de chez moi, j'ai eu un petit doute sur l'endroit où j'avais garé la lada. J'ai d'abord cru qu'elle se trouvait rue de Vienne. Mais là bas rien. Je reparcours entièrement la rue de Madrid, puis la rue Portalis où je me gare parfois. Je me suis souvenu m'être garé rue de Constantinople pendant le week-end mais rien là haut. J'ai réfléchi. Je me suis souvenu avoir ramené
mennuie chez lui après ma petite fête des 16.000, vers cinq heures du matin. Il me semblait vaguement m'être garé rue de Madrid. Je me refais la rue de Madrid. Rien. Je rentre chez moi, j'appelle le Commissariat pour apprendre avec fierté que je dépends de la fourrière Foch. J'appelle la fourrière Foch où on me répond fort aimablement qu'ils n'ont pas vu de lada.
J'ai eu un petit moment de désespoir. Et j'ai refait quelques rues du quartier. Et puis je l'ai revue, de loin. Elle m'attendait là où je l'avais laissée dimanche à cinq heures rue de Vienne. Je n'avais même pas de contravention malgré l'heure tardive. Il faut dire que lors de mon premier passage rue de Vienne, j'avais ouvert un courrier du Trésor Public qui me restituait un chèque de trop perçu de 480 €. Cela avait du me troubler. Ou alors c'est l'âge... ces 16.000 jours... à propos, c'est quoi, déjà, le prénom d'Alzheimer?
16000ème jour
Eh bien oui...
...ça devait bien finir par arriver un jour...
15999ème jour
Ninstalgie
Hier soir j'ai foncé en lada dans la nuit pour aller chercher
nin dans l'une des boucles de la Seine. Les soirées imprévues sont souvent les meilleures. Nous sommes allés voir
Good bye Lenin! qui était un choix parfait au vu de nos attirances communes pour la culture germanique. J'ai beaucoup aimé l'ambiance de ce film qui rappelait bien celle de cet hiver 89, puis celle de l'été 90 où j'avais découvert Berlin en m'y rendant avec mon ami Gaëtan. Il m'aussi rappelé l'exposition
Östalgie, que j'avais vue à Berlin en 1999 qui permettait de comprendre pourquoi on peut garder une certaine nostalgie pour une période noire de sa vie.
Vodka pamplemousse, volutes de fumées lourdes, la voix de Jeff, le violoncelle de Brahms, Ellen Alien, de belles confidences. Merci,
nin.
15998ème jour
Tactique statique
Il suivait son idée. C'était une idée fixe, et il était surpris de ne pas avancer.
Jacques Prévert
(Choses et autres)
15997ème jour
Supercopter
J'ai toujours trouvé que plus un jeu informatique est sophistiqué, plus il est ennuyeux. J'ai une grande nostalgie de certains jeux qui fonctionnaient en VGA sur mon vieux PS/1. Je me souviens en particulier de
Styx, où une petite bête essayait de grignoter peu à peu un territoire rectangulaire avec la menace permanente de se faire bouffer par une sorte de monstre central qui gardait les lieux. Je me souviens aussi de
Perestroïka où une petite grenouille devait sauter de feuille de nénuphar en feuille de nénuphar, celles-ci diminuant de taille dans le temps. J'y ai joué pendant des heures avec ma fille aînée alors qu'elle n'avait que trois ou quatre ans.
Et j'ai passé une bonne partie du week-end dernier à jouer avec mes filles à
ça. Attention vous allez vite être accro.
15996ème jour
Plus d'amis
En revenant de New York, pour des raisons sans inportance, je me suis retrouvé avec un répertoire vide sur mon téléphone. J'avais 400 noms enregistrés, sans doute de 600 à 800 numéros et tout d'un coup, plus rien. Enfin si, j'avais sauvegardé la quinzaine de numéros que j'utilise le plus pour les avoir sur mon tribande à New York.
En fait ce redémarrage à zéro présente de nombreux avantages :
- Je passe moins de temps à chercher mes numéros :
mennuie, par exemple est passé du 14ème au 3ème M.
- Ca m'évite de supprimer tous les noms que j'aurais du effacer depuis longtemps et surtout les prénoms sans nom.
- Cela me donne une bonne occasion de joindre certaines personnes dont j'ai vraiment besoin du numéro.
Bref, faites comme moi, repartez de zéro.
15995ème jour
Manque d'obole
Il y a quelques semaines, j'ai eu deux petite infections sur les lèvres, de part et d'autre de la bouche. Je me suis demandé d'où celà pouvait provenir et celà me gênait lorsque j'ouvrais la bouche en grand. Quelques jours plus tard, en prenant un gâteau apéritif, j'ai tout compris.
J'étais en train de déguster une
Obole de Lucerne, petit gâteau suisse qui a la forme d'une grande hostie : un disque très fin d'environ sept centimètres de diamètre parfumé au cumin. Et depuis que je les ai découverts, je m'amuse à les mettre en bouche en une pièce, sans les briser.
Sans m'en rendre compte, comme celà passe tout juste, je me suis légèrement coupé et à force de réitérer, la minuscule blessure s'est un peu infectée.
Maintenant je les casse.
Oh et puis je me casse aussi.
15994ème jour
Live at Sin-é
Les vrais amoureux de Jeff Buckley l'ont découvert par un court CD fort difficile à trouver qui comportait quatre titres chantés au pub Sin-é de New York pendant l'été 1993. Columbia vient d'éditer un double CD comprenant l'intégralité de son tour de chant à cet endroit où il chante seul simplement accompagné de sa guitare. Je l'ai acheté au
Megastore de Times Square et je n'ai pas cessé de l'écouter dès que je me trouvais dans ma chambre d'hôtel. De toutes les rééditions parfois inutiles qui sont sorties depuis la mort de Jeff, c'est indiscutablement ce qu'il y a de mieux.
La pochette reprend celle du CD original : on y voit une photographie en noir et blanc comme posée sur une nappe en papier blanc, elle-même tachée par le socle d'un verre de bière. Sur la photo, Jeff chante le regard fixé vers le plafond devant une grande affiche Sin-é. Dans le bar, quelques tables clairsemées. Un mec lit son journal, deux autres bavardent en lui tournant le dos.
Au début du concert, des bruits de gens qui dînent. Puis la voix de Jeff qui s'élève, incongrue : "
Is there any river to roll with?" Un peu de silence se fait. Une première chanson
a capella, très risquée. Quelques rires... Puis
Lover, you should've come over accompagnée à la guitare. On sent que l'auditoire indifférent au début se laisse prendre et même conquérir. On les comprend. Le Sin-é se trouve sur St. Marks Place, qui comme son nom ne l'indique pas, est une longue rue bohême de l'
East Village, bordée de magasins de bijoux kitsch et d'ateliers de tatouage.
J'y ai fait un tour mardi après-midi. Au 122, il n'y a plus rien. Que le vague souvenir d'un endroit disparu où j'aurais tant aimé être il y a dix ans.
Et puis là je suis en train d'écouter la plage 9, une reprise de Nina Simone :
If you knew how I miss you,
You would not stay away today.
Don't you know how I need you,
Stay here, my dear, with me.
I need you here beside me,
Forever and a day a day,
Together never parting,
Just you, just me, my love.
I can't go on without you,
Your love is all I'm living for,
I love all things about you,
Your heart, your soul, my love.
I can't go on without you,
Forever and a day a day.
I need you here besides me,
Forever and a day a day,
I need you here besides me,
I love you, I love you, I do.
15993ème jour
Metrocard
La plupart des lignes du métro de New York ont quatre voies. Les deux extérieures servent au trafic local et les voitures qui les empruntent s'arrêtent à toutes les stations. Les deux voies intérieures sont qualifiées d'
express et on ne s'y arrête qu'aux stations qui ont un petit rond blanc sur le plan. Quand on parcourt une distance un peu longue, le jeu consiste à prendre un train local, puis à vite changer de quai pour sauter dans un
express avant reprendre un dernier
local pour terminer le parcours. Parfois, dans un tunnel, on se fait rattraper par un express dont on aperçoit les voyageurs tout proches, et on calcule : "
Est ce que j'attraperai celui-là?" Certaines stations sont vicieuses : sans doute par manque de place, les voies
express se trouvent situées au dessus des voies
local. Et il faut galoper dans les escaliers pour attraper son train.
Au début on se fait facilement avoir et on prend un mauvais train. Lors de l'un de mes premiers séjours, je rentrais vers minuit de chez Paul sur la 106ème rue. Et au lieu de sortir à
Rector Street où se trouvait mon hôtel, je me suis retrouvé à Brooklyn, de l'autre côté de l'
East River. Plutôt que de reprendre bêtement le métro dans l'autre sens, j'ai choisi de sortir, de trouver à pied le début de la passerelle du
Brooklyn Bridge et je me suis fait cette belle balade en ne croisant que quelques rares piétons venus observer la magie de Manhattan la nuit.
15992ème jour
Dernier jour
Après avoir hésité, j'ai décidé de passer sur le site du World Trade Center avant de repartir. C'est un immense chantier, apparemment comme les autres. L'un des côtés du grand carré donne sur Church street. C'est de ce côté que se trouvent une cinquantaine de personnes silencieuses. Au dessus du chantier, se tient une sorte de croix fabriquée de deux poutrelles des twin towers. Sur les grilles qui protègent le site, de nombreux panneaux racontent l'histoire du sud de Manhattan. Et puis sur un panneau plus grand que les autres, sont inscrits en blanc sur fond noir les 2792 noms.
Quelques vendeurs asiatiques profitent de l'endroit pour vendre une brochure du souvenir. J'ai même vu des casquettes américaines marquées
Ground Zero...
A l'angle sud du chantier, je reconnais un petit restaurant thailandais où j'avais pris une soupe le soir de mon arrivée il y a quelques années. N'ayant sans doute pas résisté au choc, il est désormais barricadé par des planches. J'entre dans la petite église Saint Paul, voisine des lieux. Je l'avais visitée avec ma mère un 10 septembre. Il s'y est passé le lendemain des choses incroyables : elle a servi d'hôpital de fortune, de salle de massage pour les pompiers. Une photo hallucinante la montre au milieu de son petit cimetière entièrement recouverte de gravas et de poussière. J'ai pensé à la promesse que nous nous sommes faite de revenir ici quand le nouveau bâtiment sera bien avancé. On y sera.
15991ème jour
A night at the Opera
Les
Noces de Figaro sont sous doute mon opéra préféré, celui que je trouve le plus parfait. A l'issue de la création de l'opéra à Vienne en 1786, l'Empereur Josef II a décrété qu'il contenait trop de notes. L'expression est un peu ridicule mais elle a un fond de vérité : un compositeur médiocre en aurait tiré au moins cinq opéras différents. On imagine volontiers Mozart n'arrivant pas à canaliser une imagination débordante, le cerveau envahi par les idées et les thèmes et se soulageant en les couchant sur la partition. Dans tous les cas, je ressors toujours des
Noces la tête remplie de musique et il faut une nuit au moins pour la vider.
Ce soir j'ai écouté les deux premiers actes depuis le balcon fort élevé du Met, puis au culot, j'ai profité du deuxième entracte pour filer à une place inoccupée du deuxième rang qui me tendait ses accoudoirs.
De cette nouvelle place, je voyais beaucoup mieux, c'est évident; j'entendais un peu moins bien, l'orchestre étant désormais caché. J'ai enfin compris pourquoi les chefs d'opéra aiment leur place. On ne peut pas mieux voir que de là où ils sont et ils sont de plus au coeur de l'orchestre.
Je me trouvais donc à deux mètres de James Levine qui est probablement le chef le plus laid que je n'aie jamais vu. Une sorte de clône de Jacques Villeret en plus petit, plus gros, avec des yeux globuleux derrière de grosses lunettes dorées et des rangées touffues de poils de cul sur la tête.
Pourtant je lui dois l'un des plus beaux moments de musique qu'il ne m'ait jamais été donné d'entendre. Le grand air de la comtesse au troisième acte. Jimmy contenait parfaitement son orchestre tout en guidant la chanteuse des yeux en chantant silencieusement avec elle. Moment incroyable.
Un coup de chapeau à
John Relyea qui campait un Figaro plein de panache. Il est beau, il chante comme un Dieu. Retenez son nom. Il est le grand
Don Giovanni de demain.
15990ème jour
Cent ans
Il y a cent ans aujourd'hui, naissait en Ukraine Vladimir Horowitz. J'ai pensé à lui hier en marchant près de son hôtel particulier de la 94ème rue. Horowitz a longtemps été pour moi une sorte de mythe, connu seulement pour des disques éblouissants : son 3ème de Rachmaninoff, sa sonate en si mineur de Liszt, ses Chopin, ses Scarlatti... Je n'aurais jamais rêvé l'entendre jusqu'à l'annonce de son grand retour sur scène en 1985. Il n'avait pas joué en France depuis 1951 et c'est au théâtre des Champs-Elysées qu'il avait décidé de retourner, trente quatre ans plus tard. L'horaire était inhabituel, 15h30 un dimanche, les places hors de prix, jusqu'à 1100 Francs, mais le tout Paris était là... Je me souviens notamment de Gainsbourg qui plaisantait avec le barman à l'entracte. J'avais offert sa place à une amie au nom allemand à rallonges dont j'étais tombé éperdument amoureux.
A l'heure dite il était là, hilare sur scène, avec l'un de ses immenses noeuds papillon colorés. Et à plus de quatre-vingt ans, la virtuosité était encore impeccable, le fameux son Horowitz, puissant, avec un large usage de la pédale. Je me souviens notamment d'une Polonaise Héroïque absolument incroyable, un moment d'anthologie. Un ami concierge d'hôtel m'a dit qu'il ne mangeait que des soles importées des Etats Unis pour son déjeuner et qu'il se faisait livrer dans sa chambre un grand nombre de videos pornos. Je me demande ce qu'en pensait son épouse, la fille du grand Arturo Toscanini qui l'accompagnait dans sa tournée.
Tristan
Hier matin je suis passé voir la collection Frick sur la cinquième avenue. Cette famille richissime a rempli son hôtel particulier de toiles de maîtres à la fin du 19ème siècle. Rembrandt, Hals, Breugel, Renoir, Lippi, Turner, Constable, Gainsborough, Chardin, Ingres, et même trois Vermeer... J'ai revu le portrait de Mrs Eliott que j'avais aperçu au Grand Palais il y a des années et j'ai été heureux de constater qu'elle ressemblait toujours autant à Marie-Paule Belle.
Je suis rentré à l'hôtel à pied par Madison Avenue où j'ai croisé une femme de 80 ans environ avec de longs cheveux bleu cobalt.
Hier soir je suis allé au Lincoln Center pour ma première soirée au
Metropolitan Opera. Je découvrais cette salle des années 50 récemment restaurée. Débauche de doré sur les plafonds modernes. Abondance de velours pourpre au sol et sur les murs. Comme le plafond reflète en partie le rouge, on a du mal à distinguer la limite avec les murs. Foule des grands jours, encore plus snob que le Théâtre des Champs-Elysées. Chaque fauteuil est équipé d'un mini-écran avec, si on le souhaite, le texte de l'opéra traduit en anglais. Le système est suffisamment bien fait pour qu'on ne soit pas dérangé par celui de son voisin immédiat.
19 heures : James Levine lance son orchestre dans le prélude de l'un des plus longs opéras du répertoire. Le son est magique, gras et profond dans les forte de cuivres, subtil et délicat en permanence. Le Met a les moyens de se payer les poids-lourds actuels du chant wagnerien : Jane Eaglen chante Isolde. Ben Heppner, que j'avais déjà entendu à Londres et à Berlin dans le
Chant de la Terre est Tristan. Poids lourds au sens propre également. Ben Heppner doit dépasser les 120 kilos et son amoureuse aussi... Il vaut mieux fermer les yeux. La mise en scène est plutôt inventive, les couleurs changeantes et agréables à l'oeil. Le grand duo d'amour du deuxième acte est un enchantement. Le début du troisième avec ses chants de berger qui me rappellent toujours la Fantastique est tout simplement prodigieux.
Minuit. Isolde chante sa "Mort" au dessus du cadavre de Tristan. Je marche pendant trente minutes dans l'air frais new-yorkais. Je croise quelques sans-abris qui vont passer la nuit dehors.