Je me souviens
Après ma journée de travail à Stockholm, j’achète un bracelet de petits coquillages pour G. et je prends le dernier vol pour Paris. A 22h45 je le récupère en bas de chez lui pour boire un verre chez moi. Avant d’aller prendre ma douche, je lui remets la lettre suivante écrite dans l’avion.
Je me souviens des rimes en
ate, des omoplates de Socrate et du psychopathe prognathe, je me souviens que le soleil tombait sur tes grands yeux lorsque tu m’as rejoins au métro Saint Paul, je me souviens de t’avoir serré la main ce premier jour, je me souviens que c’était un 26, je me souviens que la deuxième tournée de
Martini valait un euro de plus que la première, je me souviens de la plaque indiquant l’atelier de Camille Claudel sur le
quai Bourbon, je me souviens de la haute colonne intérieure de l’Hôtel, rue des Beaux Arts, là où est mort Oscar Wilde, je me souviens de la place Fürstemberg, je me souviens de l’écho lorsque nous frappions dans nos mains sous la coupole proche du théâtre Edouard VII, je me souviens que tu étais bronzé quand je suis venu te chercher gare de Lyon, je me souviens être longtemps resté étendu au soleil à tes côtés sur une ancienne piste de départ de parapente au dessus de Talloires, je me souviens que tu m’as raconté des souvenirs d’enfance sur un chemin aujourd’hui sans issue, le long du lac, je me souviens de tes boutons de manchette, de tes sweat shirts A&F, de tes innombrables bracelets et de
Tony Truant, je me souviens de tes chaussettes à rayures noires et blanches, je me souviens t’avoir longuement et gravement parlé au téléphone avant le
Crépuscule des Dieux, je me souviens que tu pleurais au téléphone et que je tentais de te consoler, je me souviens que j’étais heureux quand tu riais, je me souviens que j’aimais te souhaiter une bonne nuit, je me souviens de ton sourire et de celui de Rébecca, je me souviens d’
Island et des
Inglorious Basterds, je me souviens d’avoir cessé de t’appeler
Chaton car tu préférais
Nourson, je me souviens du feu d’artifice qui se préparait sur la jetée du port de Bandol, je me souviens que tu avais ta main dans la mienne alors que je conduisais et que nous écoutions
May be I’ll go de Lene Marlin, je me souviens que je passais les vitesses de la main gauche, je me souviens que tu regardais le ciel nocturne et ses trop rares étoiles alors que nous roulions dans Paris, je me souviens que tu m’as embrassé et que je t’ai embrassé à l’angle de la rue Prévot et de la rue Charlemagne, je me souviens de la racaille à qui tu demandais du feu et qui voulait savoir si tu cherchais du sexe, je me souviens que tu m’as terriblement manqué lorsque j’étais à Londres, à Bucarest, à Nice et à Sofia, à Edimbourg, à Barcelone, à Stockholm et à Istanbul, je me souviens du petit ours anglais dont la tête dépassait de ton sac a bandouillère, je me souviens du poisson vénéto-thaïlandais qui est maintenant à toi alors que son frère jumeau décore toujours mon bureau, je me souviens de
Daisuki desu et de
Watashi mo, je me souviens des cervelles d’agneau que tu aimais enfant, je me souviens du
Louis 2 et du
Café Baci, je me souviens de l’
Hôtel Costes et du
Dôme de Villiers, je me souviens des Fables de La Fontaine et de La Grande Armée, je me souviens d’Erik, de Karl, de Swann et de Vincent, je me souviens de l’
Auberge du Port et de celle de
Savoie, je me souviens d’un message secret caché dans un origami bleu de ciel et d’une pochette assortie cachée dans une boîte orange, je me souviens de l’
Adagio pour cordes de Barber et de ses avatars électro-japonais, je me souviens de t’avoir lu
Le fait du prince sur ton lit à Lyon, je me souviens que nous lisions
Ni d’Eve ni d’Adam au même instant, toi à Paris et moi à Londres, je me souviens du
Garçon d’Italie, je me souviens avoir dormi quelques instants dans ton appartement avant de reprendre la route hypnotique...
Je me souviens du soir où notre amitié avait soixante jours,
Je me souviens que c’était un 26 et que j’étais chez moi à Paris, une nuit avant de partir à Vienne,
Je me souviens que ce soir là, pendant que tu lisais cette lettre, je prenais une douche mais je pensais à tes yeux et ton sourire.
Je me souviens que ce soir là, j’avais l’impression de te connaître depuis toujours.
Je me souviens que ce soir là, j’avais envie d’être ton ami pour toujours.
V.