Les variations Goldberg de Martin Stadtfeld au Concertgebouw
Le programme de ce concert était curieusement construit autour de
Mantra de Stockhausen, puis des variations Goldberg.
Mantra est une oeuvre longue, très longue même, puisqu'elle dure quatre vingt dix minutes. Elle est destinée à deux pianos préparés surmontés l'un et l'autre d'une collection de cymbales miniatures et d'un petit tambour de bois au son très mat. Les pianos sont enregistrés et le son en est modifié par chacun des deux pianistes à l'aide de modulateurs, puis retransmis par haut-parleurs. La conception de l'oeuvre, construite autour d'une phrase musicale de treize notes regroupées en treize sections semble être également son principal intérêt. Je dois reconnaitre qu'elle m'a pour ma part profondément ennuyé. Je n'étais pas le seul. De nombreux spectateurs somnolaient et ma voisine ronflait. La faute n'en incombait pas aux deux pianistes hollandais, Ellen Corver et Sepp Grotenhuis, qui sont des spécialistes de
Mantra.
Le seul moment qui m'a distrait est un passage où les deux interprètes se lèvent et se lancent des imprécations ressemblant à du japonais, en se faisant face, derrère leurs deux longs Steinway.
Nous profitons de l'entracte pour nous installer au deuxième rang, légèrement à gauche du piano.
Commence alors la deuxième partie qui était la raison de ce voyage, depuis qu'un disque acheté pour des
raisons inavouables à Istanbul en était venu à me séduire, à mon grand étonnement. Martin Stadtfeld descend donc le grand escalier rouge de la salle du Concergebouw. Il est jeune, il est beau et il le sait. Il est habillé sobrement dans un costume noir, visiblement coupé afin de faciliter ses mouvements.
L'Aria s'élève, magique, dans la grande salle du Concertgebouw. Le rythme est très proche de l'esprit du disque, légèrement plus rapide me semble-t-il. L'interprétation reste donc très proche de celle de Gould, qui semble totalement habiter Martin Stadtfeld. Même concentration du regard sur le clavier, même façon de chanter du début à la fin de l'oeuvre. Quelques différences toutefois. Martin Stadtfeld effectue toutes les reprises, allègrement omises par Gould et surtout il utilise souvent la main gauche dans le régistre aigu du clavier, sans doute pour imiter le jeu d'un clavecin à deux claviers. Malgré quelques fausses notes somme de fort peu d'importance, je suis fasciné par son jeu qui nous tient en haleine tout au long des trente deux variations. Je ressens de nouveau cette impression de délivrance quand l'aria final retentit une nouvelle fois. Martin Statdfeld reçoit une ovation méritée de la part d'un public qui, visiblement, ne le connaissait pas, ses disques n'étant pas distribués aux Pays-Bas.
Après le concert, je me rends dans la salle des artistes à l'étage du balcon. Je suis le seul à y pénétrer. Je lui dis combien je croyais cette oeuvre impossible à interpréter après un certain Gould et combien j'avais tort. Le compliment le fait rire. Nous parlons de la non distribution de ses disques en France, il me dit ne pas avoir d'engagement pour l'instant à Paris, bien qu'il y ait remporté le concours Nikolaï Rubinstein en 1997. Après avoir enfin trouvé un stylo, il barre la couverture de mon CD d'Istanbul d'un élégant
Martin Stadtfeld.
Les redoublants sont invités à se rendre à la Schubertiade d'Hohenems le 26 mars ou au Festpielhaus de Baden Baden le 4 juin.