J'hésitais à partir ce soir. Personne n'avait répondu favorablement à mon invitation. Il faisait froid. La circulation s'annonçait difficile au départ de Paris. De fait, il m'a fallu cent minutes pour parcourir les cent vingt kilomètres qui séparent Paris de Montargis. Je trouve facilement l'école de Musique. Elle semble déserte à cette heure tardive. Une petite fille m'indique que la salle Debussy se trouve au deuxième étage. Alors que je monte les marches, des extraits de Carmen me parviennent... C'est probablement la fanfare de Montargis qui répète. Je vais faire un tour et un quart d'heure plus tard, je reviens dans la salle alors qu'on y installe une centaine de chaises. Je m'installe au premier rang. Pendant que
Francesco Tristano Schlimé se prépare sur la scène, tout de noir vêtu, quelques petites vieilles commentent le programme :
- Oooh! t'as vu, il est jeune, 1981!
- Le programme c'est pas trop ma tasse de thé, je connais personne à part Scarlatti...
- Bério, c'est pas lui dont la femme était une cantatrice bizarre?
Quelques mots pour accueillir Monsieur Schmilé (sic) et le concert commence. Le programme, en effet sans concession, démarre avec quatre toccatas de Frescobaldi. Le pianiste les tire vers ce qu'elles ont de plus moderne et il ose les enchainer sans interruption aucune avec cinq variations de Berio. L'interprête nous dit ensuite quelques mots d'une voix bien posée. Il nous explique ce qui réunit ces pièces, l'importance des nuances et des contrastes. Il présente la pièce suivante, la Seconde Sonatine de Busoni, seule pièce du programme a n'être ni baroque, ni contemporaine. Là encore,
Francesco Tristano Schlimé nous emmène dans une suite de contrastes éblouissants. Il alterne des passages aux sonorités de harpe pendant lesquels son regard se perd dans le lointain et d'autres massifs qu'il martèle avec une extrême concentration. Je me dis qu'il excellerait dans la musique de George Antheil. Suit
Rounds de Berio, puis toute la fin du récital sans interruption. Scarlatti-Francesconi-Schlimé. Il faut oser.
J'ai toujours eu un peu de mal à trouver de l'intérêt aux sonates de Scarlatti jouées au piano, avec deux exceptions d'interprêtes notables: Horowitz et Pogorelich. A ma grande surprise, la liste se complète d'un troisième nom désormais. Pour
Mambo de
DonatoniFrancesconi,
Francesco Tristano Schlimé utilise pour la première fois la partition. Il semble ravi de nous offrir ses sons cuivrés proche des percussions. L'enchainement avec l'improvisation qui suit est évident. Il s'agit en fait d'une improvisation sous contrôle, puisqu'il utilise un immense carton sur lequel sont collés des petits bouts de partition. Et il picore à droite et à gauche quelques thèmes qu'il assemble, un peu comme un collage surréaliste. Un petit garçon qui ronflait est brutalement réveillé par les applaudissements. Nous avons droit en bis à une étrange pièce de sa composition,
Barcelona Trista, où il joue à la fois sur le clavier et directement sur les cordes du piano, en créant des sonorités étranges et envoutantes, des sons de harpe, qui entraînent Barcelone près des faubourgs de Buenos Aires.
A l'issue du concert, je vais remercier
Francesco Tristano Schlimé pour l'incroyable générosité de son programme, et lui dis que j'aurai plaisir à le revoir lors de son récital de Barcelone en janvier.
Sur le chemin du retour, je songe aux pianistes que j'ai eu la chance d'entendre en concert et qui m'ont marqué, Horowitz, Arrau, Kempff, Cziffra, Argerich, Pollini, Perahia, Lupu, Zimmermann, Pogorelich Michelangeli... Et je me dis que dans très longtemps, on me jalousera sûrement d'avoir assisté à cette soirée...
Pour ceux qui aimeraient une
séance de rattrapage, le même
programme sera encore joué en décembre le 2 à Tours, le 6 à Blois, le 10 à Issoudun, le 11 à Orléans, le 13 à Bourges et le 17 à Chinon. Il n'est d'ailleurs pas exclu que je redouble.