Mardi, donc le 24? C'est encore
Calamari union qui passe.
Je crois que tu as gagné tes quatre pages virtuelles, même si bien évidemment ce ne seront pas les mêmes que celles que j'aurais écrites en mars (qu'aurais-je écrit en mars? aucune idée). Je vais t’écrire comme s’il s’agissait d’une lettre manuscrite, écrite pour toi seul, au moins tu ne seras pas obligé de la recopier :-)
Reprenons: je disais donc que tu as gagné tes quatre pages virtuelles, par ta gentillesse, toujours. Ce mot n'est pas approprié, un mot plus proche de patience/endurance conviendrait mieux. Bien entendu, cette dernière remarque n'est due qu'à ma très légère inquiétude d'avoir été un peu sèche dans ma réponse précédente.
Quatre pages donc, au jugé, dans cette toute petite fenêtre. Cela ne va pas de soi chez toi, ta tenue et ta retenue, ainsi qu'une remarque faite à Turtle ou Tatoo dans les comments (je ne sais plus, je ne vais pas chercher) "Eh oh, t'as ton blog maintenant, ne squatte pas celui des autres", retiennent le clavier au moment de devenir fleuve.
Si écrire un blog, et répondre dans les comments, est de l'exhibitionnisme, écrire ici dans la profondeur des pages sans savoir qui nous lit et si nous sommes lus procède davantage du peeping tom (dans le rôle des acteurs, bien sûr, qui ne savent pas s’ils sont observés), avec un avantage à toi, qui sais ce qui se passe dans tes pages. Dans le principe, c’est assez amusant, j’ai l’impression de jouer, collection Signes de piste ou Fenimore Cooper ou Columbo, dans le labyrinthe des pages (pourquoi quelque chose d’aussi linéaire qu’un blog m’apparaît-il comme un labyrinthe ?) j’ai laissé un message, le trouveras-tu ? (avec toujours ce problème : gv m’a peut-être répondu, mais comment savoir si j’ai vu sa réponse (alors on repasse par les chemins, on se perd, et on se souvient que c’était l’essence de tout cela : se perdre.))
Dès le départ, ce blog m'a donné envie de parler, de répondre, avec cette question : quelle part ce fond de velours noir jouait-il dans cette envie soudain d’écrire ce que je retiens habituellement pour moi seule? (Une telle douceur dans ce fond de velours, écran plat, Apple/Mac, (Garoo me fait rire) envie de tendre la main pour toucher, la main avance, traverse l’écran, mais le fond de velours recule, c’est comme le ciel quand on essaie (quand on essayait, avant qu’il n’y ait trop de lumière) de déterminer où il s’arrête, et que toujours, l’impression de profondeur prévaut : ma main avance pour toucher le fond en velours, mais ce fond se dérobe et m’échappe, il faudra réessayer demain car un jour, peut-être... (et de cet espoir, d’autres espoirs analogues, aussi fous, aussi stupides, est fait le tissu des jours qui me fait regarder les autres avec crainte (crainte qu’ils ne s’éloignent s’ils devinaient cette obstination à rêver que le fantastique puisse envahir le quotidien (dis-moi, gv, je laisse ces lignes purement Lagavulin ? Ce que j’ai lu chez nin me fait penser que je peux.))
Je vais aller chercher un autre whisky.
L’alcool ne fait pas écrire n’importe quoi (enfin, pas plus que sans alcool). Il permet de supporter la perspective d’être lu par n’importe qui, il permet de supporter, quand on est timide (si, si), de supporter les regard inconnus. C’est étonnant, les mécanismes d’un blog, ce que cela suppose de courage, de fragilité et d’ego, entre « aimez-moi » et « prenez-moi comme je suis ». Les blogs m’impressionnent par leur démarche.
Quatre pages, c’étaient quatre pages manuscrites : combien de caractères ? (Est-ce que l’applicatif va supporter ? Misc va me maudire) Reprenons. Je suis allée voir
Calamari union vendredi soir.
Les filles de l’accueil à l’institut sont incontestablement finlandaises. J’ai regardé, je me disais que tu serais peut-être là, uniquement par défi, pour être là malgré tout. Mais j’en doutais car tes derniers posts étaient fatigués. Jetlag, tristesse de Joao,... Cependant, j’ai regardé, sait-on jamais.
La salle est petite, c’est l’auditorium de l’institut, il y a peu de fauteuils, c’est bondé, l’écran est minuscule.
La responsable de la programmation de l’institut nous fait une rapide présentation. Elle me fait rire : « Aki Kaurismaki est le seul cinéaste finlandais connu hors de Finlande (in petto :
Ah bon, il y en a d’autres ?) Les Français ont l’impression qu’il est représentatif du cinéma finlandais, mais ce n’est pas le cas, sa façon de filmer est très personnelle, tout à fait à part. » Ben oui. C’est même pour ça qu’on l’aime : parce qu’il voit le monde différemment, et qu’il nous le montre différemment. C’est peut-être même la définition d’un artiste, ma grande.
C’est drôle, le finlandais, ça roule les r comme le russe, et parfois, dans les sonorités les plus graves, on a l’impression d’apercevoir le martèlement du québécois. Les mots sont longs, et leur accentuation fait que j’en perds la fin.
Calamari union est le second film d’Aki Kaurismaki. (J’apprends au passage que
Zombie est de son frère, Miko). Douze ou seize hommes des quartiers pauvres décident d’atteindre le quartier riche d’Helsinski. Ça ne paraît pas très ambitieux, mais mon Dieu, c’est aussi long que d’aller de Finlande au Mexique, et il y a bien peu d’élus.
Je regardais ce film, en me demandant si vraiment il était bien raisonnable de t’encourager à venir voir ça. Qu’est-ce qui m’a poussée dans ton blog à penser que tu pourrais aimer (ou au moins apprécier de voir une fois)
Leningrad cow-boys ? Tes fous-rires à propos de Lamûr, ton vrai goût de la musique, sans snobisme, ecclectique, totalement intérieur et pas pour les autres (l’histoire de ce radio-cassette, à douze ans déjà), ta curiosité et ton indulgence (il vaut mieux que ça aille ensemble), le lien que tu as donné un jour pour s’entraîner au karaoké (aaarrrghhh) et le fait, mais là tu n’y es pour rien (enfin, si mais ce n’est pas volontaire), que ton blog me fasse penser quelquefois à Jarmusch.
Autant l’avouer, tu m’as piégée, je suis angoissée à l’idée que tu puisses venir voir ce film et t’ennuyer à mourir. Je me sens responsable (il y a un truc : je me sens toujours responsable). Ayant décidé de t’écrire longuement lorsque j’ai découvert ton dernier commentaire, j’essayais ce matin de déterminer ce qui me plaisait dans ces films, je crois que c’est leur illogisme, l’impossibilité absolue de deviner ce qui va se passer, même lorsqu’il y a un but (changer de quartier, aller au Mexique) (et bien sûr, le soin de la composition, les images, les cadrages, la musique): c’est organisé dans la plus parfaite incohérence. Ça ressemble à la vie, grossie démesurément : chaque épisode n’a qu’un rapport ténu avec les autres, il y a une volonté humaine au départ, mais tout tourne en dépit du bon sens, et on arrive malgré tout quelque part, c’est drôle et tragique et sans importance.
Mon film préféré est sans aucun doute
L’homme sans passé, par ses couleurs, son silence, son immense tendresse humaine, la générosité et l’entraide après les quelques minutes de violence du début, la demi-pomme de terre dans la main du héros qui explique que le paysan sait qu’il ne faut pas tout manger car il faut planter pour l’année suivante, le chien méchant, la laideur de l’héroïne, l’amour entre les deux héros disgrâciés.
Bon, le 24 donc (?). A l’entrée de l’institut, il y a une sorte de petit salon : rendez-vous là ? J’aurai des gants rouges et un cartable couleur terrain-de-tennis-en-terre-battue. Si tu es en retard, j’en déduirai que la lada est scotchée dans les embouteillages ou que tu es parti trop tard du bureau. Que préfères-tu alors : que j’entre dans la salle sans t’attendre (vers 19h15 ou 19h20) ou que je t’attende en abandonnant le film ?
Alice -
email| 21.05.05 @ 23:21 >