Il y a un an
Il y a un an, je me réveillais dans mon hôtel de la 54ème rue. Mes relations avec ma mère s'étant détériorées ces dernières années, j'avais choisi de lui offrir un week-end aux Etats-Unis et ce onze septembre était notre dernier jour à New York. Nous étions tristes de rentrer, le temps était magnifique et nous avions bouclé nos bagages pour les laisser à l'hôtel le temps de profiter de la ville avant notre avion du soir.
En arrivant à l'ascenseur, une femme est là, pieds nus, avec son mari; elle a l'air totalement hystérique et crie : "
That should happen! That should happen!". Je ne comprends pas.
Dans le hall de l'hôtel, l'agitation est intense. En une seconde, la fille de la réception m'annonce qu'un avion vient de percuter le World Trade Center, qu'il y a eu une bombe à Washington, que tous les ponts menant à Manhattan sont fermés et que le mieux et que je remonte dans ma chambre pour regarder CNN. Abasourdis, nous remontons avec nos bagages et branchons CNN. Au début, tout à l'air calme, simplement la fumée au dessus des deux tours. Puis c'est l'effondrement de la première tour. Le plus sidérant, c'est d'observer par la fenêtre de l'hôtel la vie totalement normale dans les rues avoisinantes. L'activité continue absolument normalement.
La femme de ménage vient faire la chambre. Elle pleure car son ami travaille au restaurant du WTC et elle n'a pas de nouvelles. Lorsque la deuxième tour s'effondre, je ne tiens plus en place. Je vais à l'angle de la 8ème avenue et là, en regardant vers le sud je vois l'immense panache de fumée. Une vieux camion de pompiers descend du Nord, totalement dérisoire face à l'ampleur du désastre.
Impossible de donner des nouvelles en France. Le téléphone de l'hôtel ne fonctionne plus; mon tribande non plus. En fin d'après-midi, je recevrai d'un coup un SMS et 20 messages inquiets d'amis de Paris qui veulent des nouvelles.
Le premier soir, nous descendons en métro pour dîner à Greenwich Village. New York est désert. Pas une voiture dans les rues. Quelques taxis en maraude. Presque aucun piéton. La plupart des restaurants sont fermés. Le personnel qui habite rarement Manhattan n'a pas pu accéder à son lieu de travail. Il est impossible de descendre en dessous de Houston Street. Le ciel du soir est magnifiquement bleu et ce nuage toujours horrible.
Nous sommes restés une semaine bloqués à New York. Paul, mon meilleur ami new-yorkais a été bloqué à Londres pendant la même période. Il m'a raconté sa douleur en découvrant pour la première fois sa ville blessée.
Pendant ces sept jours supplémentaires, nous avons vécu dans une ville à l'atmosphère inoubliable. Je me souviens des petits messages marqués "
missing"avec la photo de personnes disparues à Washington Square. Je me souviens d'avoir fait la queue pour m'inscrire sur un avion dès que les vols reprendraient. Je me souviens du Requiem de Fauré devant la Cathédrale Saint Patrick, en hommage aux pompiers disparus. Je me souviens de la visite de Bush et de son bras posé sur l'épaule du pompier.
Je me souviens du jour où le sud de Manhattan a été presque totalement réouvert, je me souviens de l'odeur acre et insupportable; je me souviens du bruit épouvantable des dizaines de groupes électrogènes qui tournaient en permanence pour apporter de l'électricité aux tours réouvertes.
Et puis la vie continuait : je me souviens de mes visites nocturnes à l'
Easyeverything de Broadway pour lire sur le net les journaux français et pour faire du chat avec des amis. Je me souviens d'une conférence téléphonique avec le bureau à trois heures du matin. Je me souviens de mes bains de soleil tous les après-midi à Central Park, je me souviens de
Balthazar et de
56th Rue, je me souviens d'une nuit passée à
Splash avec beaucoup de touristes bloqués et qui n'avaient pas vraiment le coeur à danser. Je me souviens d'avoir eu pour la première fois le temps de découvrir cette ville que j'aime pendant onze jours complets et d'aller dans des endroits dont les guides ne parlent pas mais où je sais que je reviendrai un jour.