Blogue ta musique
Je suis bien d'accord avec Michael lorsqu'il affirme qu'à l'instar de la fête du travail, qui est la fête de ceux qui n'aiment pas travailler, la fête de la Musique est celle de ceux qui ne l'apprécient guère.
Je profite pourtant de ce jour pour vous raconter un petit souvenir paramusical. C'était fin 1999 ou début 2000. Des membres de la Philharmonie de Berlin avaient donné une série de concerts au théâtre de l'Athénée au cours desquels ils avaient interprété la quasi intégrale de la musique de chambre de Brahms. J'étais allé à un ou deux concerts, dont celui où figuraient les deux sonates pour violoncelle et piano de Brahms qui font partie de mes oeuvres préférées. Sur la petite scène du théâtre, en plus des deux duettistes, se tenait un très vieux monsieur, qui avait la responsabilité de tourner les pages de la partition du pianiste. Il avait l'air tellement heureux d'être là que celà faisait plaisir à voir. Il le faisait bien consciencieusement, et même s'il n'avait pas l'air d'y voir parfaitement bien, il s'efforçait de tourner la page juste avant que le pianiste n'ait terminé de la jouer, et en tout cas, avant que celui-ci ne fasse le signe deséspéré des yeux
"allez vas-y tourne là, bordel cette putain de page!!!" auquel on assiste parfois...
En revanche, au bout de quelques minutes, un événement inédit survint : le vieux monsieur tourne deux pages au lieu d'une. Le pianiste s'en rend compte, lève prestement la main droite et revient à la page précédente.
Quelques minutes plus tard, la même erreur se renouvelle et c'est plein de rage que le pianiste balance la page en arrière pour revenir au bon endroit.
A partir de ce moment là, la situation est vraiment devenue pathétique. Le vieux Monsieur avait l'air catastrophé. Au lieu de rester assis, il s'est mis à moitié debout, à la fois pour mieux voir la partition et pour bien préparer à l'avance l'opération. On le voyait frotter à de nombreuses reprises son pouce et son index à la peau parcheminé, pour être certain de ne pas entraîner deux pages au lieu d'une.
Et pendant les secondes qui précédaient chaque changement de page, un silence de mort régnait dans la salle. Tout l'auditoire était suspendu à papi, qui, le front en sueur, les fesses décollées de sa chaise pour mieux voir tremblait à l'idée de defaillir dans sa tâche essentielle. Tout s'est bien passé pendant la vingtaine de pages qui ont suivi. Mais je n'ai plus aucun souvenir de la qualité d'interprétation de ma sonate fétiche.
Publié dans le cadre de l'opération
Blogue ta musique.