Siegfried
Visite avec ma sœur de l’appartement où mon père a vécu pendant une vingtaine d’années avec son épouvantable bonne femme agressive qui lui a mené la vie dure. L’endroit ne contient désormais que quelques meubles fanés et des cartons emplis de livres sur les sujets de prédilection de mon père: le premier empire, la France de Vichy et le troisième Reich. Les meubles, que je n’avais pas vus depuis vingt cinq ans me rappellent des souvenirs d’enfance. Le bureau Empire de mon père, surmonté de sa lampe bouillotte à l’abat jour austère en métal, le salon Empire de velours bleu, ou plutôt le demi salon, puisque mes parents avaient eu la bêtise de le diviser lors de leur séparation, et puis cette petite commode Louis XVI qui sera le seul objet que je garderai de mes parents. Je rappelle à ma sœur que lors de certains départs en vacances d’été, mon père, obsédé à l’idée d’un possible cambriolage, retirait les tiroirs de cette commode, pour les entreposer dans une pièce, près du garage. Cette pièce, qui avait été la chambre de notre femme de ménage portugaise, avait été transformée en ce que notre père appelait pompeusement la salle forte. Il l’avait équipée d’une porte en métal et, non content de cette barricade, il dissimulait la porte derrière une muraille impressionnante de revues de La Défense Nationale, revue à laquelle il était abonné depuis des décennies.
J’ai aussi jeté mon dévolu sur une impressionnante collection de la Pléiade constituée de plus de 400 volumes et du portrait de ma grand mère maternelle, belle et distinguée avec ses yeux verts assortis au passe-partout de l’encadrement.
Prise de tête avec Amanda qui veut me faire signer un document dans lequel je m’engage à payer toutes les charges de l’appartement de Dubaï depuis la mi décembre alors que, de toute évidence, je ne dois les acquitter qu’à partir du transfert de propriété. Comme elle ne veut rien entendre ni rien comprendre, après l’avoir gratifiée de quelques noms d’oiseaux, je l’informe que je ferai donc son travail en allant voir le promoteur dès mon retour à Dubaï mardi.
Dans l’après midi, voyage de retour pour Paris où j’ai rendez vous à la Philharmonie avec mon ami E. Pour une version de concert de Siegfried par les forces réunies du Concerto Köln et de l’orchestre du Festival de Dresde, sous la direction de Kent Nagano. Les solistes sont tous remarquables: en particulier Derek Welton qui campe un Wotan inquiétant à la basse puissante et impeccable, Thomas Blondelle, qui chante Siegfried pour la première fois, très bon acteur dont j’ai cru que sa valise avait été égarée mais qui avait en fait choisi de s’habiller en jean et blouson, juste pour faire jeune, Christian Elsner, Mime à la crinière désormais blanche, Hanno Müller-Brachmann, Fafner un peu trop élégant qui chante à travers un immense pavillon de cuivre l’aidant à imiter la voix du géant provenant de la caverne, Gerhild Romberger, qui fut ma voix de
Troisième de Mahler préférée et Åsa Jäger, à la voix d’acier tranchant qui tranche avec les rondeurs de son corps. Mention spéciale au petit chanteur de Tolz qui campe un oiseau formidable à la voix d’or.
Applaudissements frénétiques de la salle à la fin de chacun des trois actes.
Pendant les deux entractes, nous recevons la visite de Federico, premier altiste de l’orchestre que j’avais rencontré il y a quinze ans à Paris, alors qu’il avait donné un concert de musique de chambre à Paris avec des collègues du
Gustav Mahler Jugend Orchester dont un certain Bruno Delepaire qui a fait depuis une belle carrière.