La Saint Ambr*ise
En cette matinée de
Saint Ambr*ise, j’envoie par mail la longue lettre rédigée ces derniers jours.
Mon cher Ambr*ise,
Il m’est difficile d’accepter que notre relation s’achève pitoyablement, juste parce qu’une discussion entre nous remuerait le couteau dans la plaie. Je pense que nous méritons mieux que cela. Je respecterai donc ton choix de ne pas se revoir, mais je prendrai le temps de te dire ce que tu as représenté pour moi pendant ces quelques mois où nous avons été amis.
Tu as émis le désir de connaître mon jeu, mais je n’ai jamais joué avec toi, j’ai été sincère, j’ai fait tout mon possible pour tenter de te rendre heureux et je n’ai rien demandé en échange, si ce n’est ton amitié vraie et ton envie de passer du temps avec moi. Tu t’interroges sur le fait de savoir si tu t’es comporté en profiteur ou en imposteur. Toi seul peux répondre à cette question. Comment pourrais-je prétendre savoir ce qui t’a conduit à partager ma vie pendant six mois ?
Tu affirmes que j’ai été amoureux de toi. C’est possible, même si les mots sont bien souvent réducteurs. Ce que j’ai ressenti pour toi est, de mon point de vue, très pur et très profond. J’ai aimé chaque minute passée avec toi, tu as été ma priorité, j’ai aimé te parler, te comprendre, te regarder, j’ai été heureux de te sentir heureux. On peut appeler cela de l’amour ou, dans notre cas, un lien quasi filial, de la complicité, ou encore de l’amitié, mais c’était surtout juste toi et moi. Je n’ai jamais espéré de relation exclusive avec toi, j’ai toujours compris et accepté que c’était impossible. J’ai juste voulu partager des moments de bonheur avec toi, et ce, aussi souvent que possible. Mais cette page est tournée, et il est vrai que je t’en veux d’avoir tout gâché, de ne pas avoir su protéger ce qui était si précieux à mes yeux et peut-être aux tiens.
Je n’ai pas envie de penser à la fin. Je préfère me souvenir de nos moments heureux que je n’oublierai jamais. Et ils sont nombreux…
Je me souviens avoir essayé sans succès de deviner ton prénom dont je ne connaissais que la première lettre. Je me souviens de notre première rencontre un mois plus tard, alors que je t’attendais sans te reconnaître rue de Vaugirard, je me souviens de cette première soirée passée ensemble à écouter de la musique, à boire du champagne et à fumer un premier joint. Je me souviens, et c’est incroyable, que dès le lendemain matin, nous partions ensemble à Milan, où nous avons marché dans le froid, déjeuné chez
Peppino et assisté au grand retour de Claudio Abbado à
La Scala. Je me souviens du
Bulgari, de ton étonnement à découvrir que j’avais apporté un joint dans mes bagages et de ta question «
Est-ce que tu crois qu’on peut mourir de plaisir ? ». Je me souviens des instants qui ont suivi et de ta vitalité de jeune chiot excité à faire du sexe. Je me souviens que nous sommes rentrés à Paris par deux avions différents. Je me souviens être allé chez toi un soir unique et que j’étais tellement heureux en partant que je me suis pris en photo dans le miroir du hall de ton immeuble pour me souvenir aussi longtemps qu’il se peut de l’insoutenable légèreté du bonheur. Je me souviens t’avoir souvent dit dans le creux de l’oreille «
Tu sais que tu es un garçon merveilleux ? », je me souviens du
Ralph’s et du
Raidd, je me souviens de la nuit hivernale où tu chantais la chanson d’Adele, torse nu dans ma voiture décapotée, après un nombre élevé de vodkas et que, ce soir là, nous avons passé une première nuit chez moi. Je me souviens d’un nombre invraisemblable de joints, de vodkas pamplemousse et de coupes de champagne, partagés sur le matelas que tu avais installé devant la télévision, inaugurant ce que tu appelais l’
ambr*cisation de mon appartement. Je me souviens de ton
Perfecto à doublure rouge et des tapas de l’
Hôtel W, je me souviens du
Mini-Palais, je me souviens de notre appréhension à se promener ensemble dans notre quartier, je me souviens avoir été te chercher rue de Vaugirard de nombreuses fois, je me souviens de
Pizza piu grande et du
Sexodrome, je me souviens du
Dépôt et de la livraison de Karim, je me souviens que nous avons brûlé tous mes bouchons de liège dans un feu de joie à l’odeur finalement fade et décevante, je me souviens des pâtes aux anchois, de Mr B. et de la viande des grisons, je me souviens d’un joint sur l’île aux cygnes, de deux autres sur le
Square Boucicaut et d’autres encore, plus nombreux, sur le
Champ de Mars, près de notre palais. Je me souviens de l’anniversaire du
Piccolino avec Franco, puis de ta fête tombant le même jour que l’anniversaire de Franco, c’était d’ailleurs il y a un an aujourd’hui. Je me souviens de
Mister Sloane et de ton bonheur à voir Gaspard Ulliel, je me souviens de
L’Avenue, de
Chez Allard et de
Chez Dumonet, je me souviens d’
Orange mécanique et du
Nadsat, je me souviens de t’avoir donné mon
iPhone, je me souviens de ta petite sœur qui nous crame un samedi matin
rue de Londres. Je me souviens d’un voyage aux Pays-Bas en voiture et de mon anniversaire à Amsterdam, je me souviens des innombrables coffe-shops et de la
Septième Symphonie de Bruckner au
Concertgebouw, je me souviens du tableau de la
Belle endormie, dans ses draps de violet et d’or, que tu as aimé en premier et que nous avons acheté ensemble avant de le ramener à Paris. Je me souviens qu’un jour, tu as cessé de me donner des nouvelles et que je me suis senti trahi. Je me souviens que tu m’as manqué pendant deux mois.
Je me souviens que tu m’as recontacté alors que j’étais de nouveau à Amsterdam à une terrasse de café, que je t’ai aussitôt pardonné et que nous nous sommes revus le soir même pour fumer l’herbe à l’ananas que j’avais rapportée. Je me souviens de nos parties acharnées de
Ruzzle, parfois l’un contre l’autre et parfois ensemble contre S. ou contre Michael. Je me souviens d’un nouveau départ pour Amsterdam, en avion cette fois-ci, je me souviens de la difficulté à trouver le
Sir Albert, je me souviens du
Troisième Concerto de Rachmaninov au
Concertgebouw, je me souviens d’une nouvelle tournée des coffee-shops, je me souviens d’avoir retrouvé Alban Berg et M. dans une boîte minable, je me souviens du café
De Jaaren, je me souviens que tu t’es fait arrêter par la police à l’aéroport de
Schiphol, je me souviens d’un avion raté. Je me souviens d’une promenade à Versailles avec HL et d’un déjeuner un peu cérémonieux chez lui avec les deux chiens à nos pieds.
Je me souviens de notre vol en
A380 pour Singapour, je me souviens du
Long Bar de l’
Hôtel Raffles, je me souviens de notre arrivée à Bali dans la nuit, excités par les odeurs et par l’atmosphère chaude, je me souviens de notre chambre avec une petite piscine privée, je me souviens de
Made’s warung, près du
Bemo’s Corner et de ton anniversaire au
Bulgari, je me souviens des singes voleurs d’
Uluwatu et de ceux près de notre bungalow de l’
Hôtel Alila, je me souviens de la piscine, si théâtrale, je me souviens de la serveuse qui te disait le matin «
Nice eye brows », je me souviens de ton
nasi-goreng pour le petit déjeuner, de la promenade dans les rizières à Ubud, je me souviens du
Lotus café et du
Sari organic, je me souviens de
Changi et de
Fanghi, d’
Ikar et des
Massaz, de «
Transport Transport », de «
Hati Hati », de «
Taxi, Boss ? », de «
Looking, Looking » et de «
Mushroom, Mushroom ». Je me souviens de «
Banana juice OK ? » et de «
Very good Katana », je me souviens du «
Don’t forget your mangoostan, Mister Vincent ». Je me souviens de Lombok et de la plage de rêve, juste avant l’orage, je me souviens des îles Gilli et de Klungkung, je me souviens de nos longues marches sur la plage de Kuta, je me souviens de ton tatouage au
Mickey surfer, je me souviens de notre razzia sur les lunettes de soleil, je me souviens des poissons du restaurant
Sardine qui te suçaient les doigts, je me souviens du dernier coucher de soleil à Kuta alors que tous les balinais étaient sur la plage, je me souviens de trois jours à Singapour, de
Chinatown et de
Little India, du
Ku De Ta et de nombreux
Singapore slings. Je me souviens que c’était notre dernier dîner ensemble et qu’il n’y en aurait plus d’autre. Je me souviens du retour en
A380. Je me souviens du taxi qui nous a ramené rue de Madrid. Je me souviens que tu m’as dit «
A ce soir ! ».
Je me souviens d’avoir écrit ces lignes, puis d’avoir regardé ma cheminée sur laquelle se tient le dragon de cuivre que nous avons acheté ensemble à Ubud, puis la
Belle endormie dans son tableau doré qui fêtera son premier anniversaire dans quatre jours. Je me souviens d’avoir eu envie de pleurer, je me souviens avoir pensé «
C’était bien », je me souviens d’avoir copié ces lignes dans un email à ton attention, je me souviens d’avoir cliqué sur «
Envoi ».
Je te souhaite une bonne fête de la
Saint Ambr*ise.
V.
Dans l’après-midi j’achète non seulement un lave linge chez
Darty (ma vie est passionnante), mais aussi les trois coffrets d’anthologie des enregistrements EMI de Carlo-Maria Giulini désormais publiés par
Warner et qui m’économisent quelques centimètres d’étagère. Le soir je dépose au
Piccolino le cadeau de Franco.