Où j’écris à Renaud Camus ou le septième concert du cycle de musique de chambre de Brahms à Pleyel
Monsieur,
Je suis un ami d’HLG et peut vous amusera-t-il de savoir que, hier matin, je le conduisais au Musée Rodin sous un ciel noir et un véritable déluge et, alors que nous étions arrêtés à un feu rouge, je lui ai lu le paragraphe que vous lui consacrez dans votre Journal 2012
. Ce texte l’a touché et il vous enverra surement un petit mot à ce sujet.
Comme vous vous demandez ce qu’il devient, je suis heureux de vous dire qu’il va bien, il a fêté son quatre vingt neuvième anniversaire récemment, il travaille sur la refonte du premier volume de la version américaine de sa biographie (qui complètera totalement son œuvre, les autres trois volumes ayant déjà paru) et il part prochainement pour Toblach, comme chaque été.
Je profite de ce message pour vous dire que votre journal a occupé une bonne partie de mon temps le week-end dernier et je suis touché par votre combat pour ce qui est encore notre culture et pour la grammaire française tant malmenée par tous (je frémis d’ailleurs à l’idée que votre œil critique ne parcoure bientôt ces lignes).
Toutefois, même si j’ai un faible pour les causes perdues, je me demande si l’on peut influer en quoi que ce soit l’évolution du langage. Comme vous le soulignez vous-même, à partir du moment où une expression, fut-elle atroce, se généralise, elle devient la règle. Et Montaigne serait sans doute horrifié par le français pourtant si beau de Marguerite Yourcenar, mais si différent du sien.
Je me suis souvenu d’une interview du grand claveciniste Gustav Leonhard qui déclarait que toute la musique postérieure à Bach était vulgaire. Son propos, un rien provocateur, m’avait cependant beaucoup donné à penser et, après tout, il est assez probable que Bach trouvait la musique de ses fils très vulgaire et qu’il aurait qualifié celle de Haydn ou de Mozart de détestablement vulgaire. On peut tout aussi imaginer que Mozart aurait qualifié les grands coups de boutoir beethovéniens de vulgarités. Et Brahms de son vivant n’a jamais été considéré comme capable d’égaler Beethoven, sans parler de Mahler jugé quasi unanimement vulgaire par ses contemporains.
Il serait d’ailleurs intéressant de réfléchir à la notion de vulgarité en musique, tous les compositeurs, sauf peut-être Bach, présentant probablement des éléments de vulgarité au sens de leur époque, éléments finalement qualifiés de génie par l’Histoire.
Même si je partage les mêmes regrets que vous, voire le même dégoût pour la culture de masse (je partage totalement l’avis de votre ami affirmant que tout ce qui a du succès est médiocre) je garde l’espoir qu'une part de la vulgarité d’aujourd’hui représentera peut être une certaine beauté pour les générations de demain. Peut-être sommes nous seulement attristés par la disparition de la culture de notre enfance qui préfigure notre propre disparition.
Je vous prie d’accepter, Monsieur, ...
Le soir, je retourne à
Pleyel pour le septième concert de l’intégrale de la musique de chambre de Brahms (j’ai hélas raté les concerts V et VI puisque j’étais à Bali). Ces deux derniers concerts sont un peu différents des six premiers puisqu’ils ne tournent plus autour des membres de l’orchestre philharmonique de Berlin (comme la publicité un rien mensongère le laisse croire), mais autour du
Jerusalem Quartet, absolument excellent. Au programme de ce soir, des œuvres plus rares : les Quatuors à cordes op. 51 n° 1 et op. 67 et le Quintette à cordes n° 1 op. 88 (le moins joué des deux. Voisinage avec
Zvezdo qui est lui aussi au rang BB et qui déclare sur facebook, qu’il s’agit du meilleur rang pour admirer les chaussettes DD des musiciens.
Dès que je sors, je vais chercher un certain Hugo à La Garenne Colombe. C’est un petit clermontois sans intérêt que je suis ravi de ramener chez lui après un verre de champagne.