Le Chant de la terre de Daniel Harding au Concertgebouw
Lorsque Daniel Harding a baissé sa baguette devant les cordes de l'Orchestre Royal du Concertgebouw, je me suis souvenu cette phrase d'Alban Berg, alors que nous roulions vers Bayreuth : "
Les plus grands orchestres, on les reconnait au fait que parfois, leur son ressemble à la voix humaine." Et c'était exactement celà. Un son humain chaud et mystérieux alors que commençait le Largo du
Huitième Quatuor de Shostakovich, dans l'arrangement qu'en a fait Rudolf Barshai pour un orchestre à cordes au grand complet. Le son est sans doute moins incisif que dans la version originale, mais la transcription orchestrale convient parfaitement à ce quatuor génial, comme elle convient d'ailleurs aussi aux plus grands quatuors de Beethoven. Harding a parfaitement su faire ressortir l'atroce pessimisme des deux largo encadrant l'oeuvre, comme la violence macabre des valses interrompues, des mélodies amères et cinglantes des trois mouvements centraux. L'oeuvre s'achève dans un silence de mort des mille cinq cent spectateurs qui retiennent leur souffle.
Nous profitons de la pause pour changer de place. Il est très agréable d'être sur le podium face au chef pour un concert orchestral, mais dès que l'oeuvre fait appel à des voix, ces places sont à bannir. Nous nous installons au deuxième rang de la salle juste aux pieds du chef.
Le
Chant de la terre a beau être l'une des oeuvres les plus connues de Mahler, elle n'est pas la plus jouée et de loin, sans doute en raison de la difficulté à trouver deux solistes capables de se confronter à pareil pari. En faisant appel à Sarah Connolly et Peter Hoare, Daniel Harding a complètement réussi le sien. J'ai probablement entendu cette oeuvre des centaines de fois et poutant, j'y ai encore découvert des merveilles, en particulier en provenance de la section des violoncelles devant lesquels nous étions installés. Et puis, pendant l'intermède orchestral de
der Abschied, je songeais à cette spectatrice qui, dans cette même salle, le 4 octobre 1939 se leva juste avant le retour de la soliste, s'avança près du chef Carl Schuricht, à quelques centimètres de là où nous nous trouvions, et s'écria devant une audience médusée : "
Deutschand über alles, Herr Schuricht!"
Et le
Chant de la terre, c'est bien sûr cette fin, l'horizon bleuté, la fin de l'existence de tout être humain, résolu à se fondre dans cette nature qui, éternelle, refleurit à chaque printemps... Comment sortir autrement que bouleversé par une telle expérience?