Pompes en vrac
Dans la maison de mon enfance, la porte d'entrée principale se faisait par le balcon au premier étage, sur la façade sud. Mais mon père avait une certaine obsession pour les volets en bois et dans le but de les empêcher de jouer avec le temps, il en laissait certains hermétiquement clos toute l'année, ce qui avait bien sûr l'effet inverse. La porte officielle n'étant utilisée que pour la rare visite d'une sommité, nous entrions donc par la porte du garage, puis par une pièce proche de la buanderie, où se trouvait un escalier montant au premier. Dans cete pièce, étaient stockées toutes les chaussures de la maisonnée : chaussures de jour, chaussures de sport, bottes, chaussures de marche, pantoufles, espadrilles, sans doute une cinquantaine de paires de chaussures alignées sur des étagères recouvertes d'un lino gris assez laid. Il y avait une odeur assez particulière dans cette pièce, une odeur de pied, à n'en pas douter, qui me faisait un peu honte lorsque je la faisais traverser par l'un de mes rares amis admis à la table familiale.
C'est aussi dans cette pièce que mon père m'a appris à lacer mes chaussures, alors que j'avais quatre ou cinq ans. Il me l'a enseigné selon sa méthode personnelle qu'il applique encore aujourd'hui et qui consiste, après avoir formé le premier noeud, à poser l'index de la main gauche sur celui-ci, à lever le majeur de cette même main, et à former la première boucle, de la main droite, autour du majeur gauche dressé. Souvent, des camarades de classe se sont moqué de ma méthode étrange et de ce doigt levé. Encore aujourd'hui, il m'arrive d'y songer lorsque je suis amené à lacer mes chaussures en public. Et je pense encore à mon père qui continue d'utiliser pour les chausures le mot aujourd'hui désué de soulier.