Mamamouchi
En Turquie, le portrait d'Atatürk, le fondateur de la Turquie moderne, est partout : dès l'aéroport, qui s'appelle Atatürk, la photographie est sur tous les murs. On le retrouve dans les vitrines, dans les halls des entreprises, dans les hôtels...
Chaque chef qui se respecte l'a dans son bureau. C'est meme un critère de distinction, au même titre que la superficie du bureau ou le nombre de plantes vertes. Plus le Mudur (Manager) est élevé, plus la reproduction d'Atatürk est de grande taille.
En pénétrant dans le bureau de mon client ce matin, je me disais donc qu'il s'agissait probablement d'un méga-Mudur, car en plus d'une immense photographie colorisée posée sur un chevalet de bois, il y avait également deux autres photographies en noir et blanc ou Atatürk posait comme à son habitude en queue de pie et col cassé.
A son arrivée le maréchal Mudur fait venir sa (fort jolie) secrétaire pour rebrancher son PC portable. Celle-ci plonge a quatre pattes sous le bureau sans qu'il ne lui prête le moindre regard. Une seconde soubrette apparait pour nous demander ce que nous souhaitons boire. J'opte pour un modeste verre d'eau. SuperMudur reste impassible, l'oeil dans le vide, jugeant que les deux êtres du sexe féminin sont indignes d'entendre les nobles propos que nous allons tenir.
Elles quittent la salle. Un silence persistant s'instaure que ni mon collègue turc, ni moi même, n'osons interrompre. Au bout d'une minute environ, mon collègue commence à parler en turc. Une conversation d'une dizaine de minutes, entièrement en turc, a lieu sans que je n'y comprenne rien. Je regarde un presse-livres en bronze assez laid et de temps a autres, le paysage relativement vert pour le centre d'Istanbul.
Puis tout d'un coup, la conversation bascule en anglais. Je me mets à y participer de temps a autre, mais Monseigneur Mudur y prête une oreille inattentive. Il s'occupe régulierement de son PC, répond d'un air très concentré à tous les appels qu'il recoit sur son gsm.
L'entretien ressemble au final a une conversation de salon entrecoupée de nombreuses failles pendant lesquelles mon collègue et moi nous regardons avec une incommensurable envie de rire.
En sortant je me demanderai pourquoi nous sommes venus, mais mon collègue me rassurera en me disant que dans la conversation turque, au tout début, Sergent Mudur lui avait indiqué que notre proposition était très intéressante et qu'ils allaient probablement la retenir. Ils sont forts les turcs...