Ivo Pogorelich à Gaveau
La dernière fois que j’ai entendu Ivo Pogorelich, c’était à Clermont Ferrand en 1981 ou 1982. Peu de temps avant, je l’avais entendu lors de son premier récital au théâtre des Champs Elysées. Il venait de perdre avec fracas le concours Chopin de Varsovie mais avec la complicité de Martha Argerich, c’était lui la star. Il était mince, il était beau, il avait des allures de jeune prince des balkans, il jouait
Scarbo de Ravel comme personne et il avait le monde à ses pieds. Je dois avoir dans ma cave un microsillon dédicacé par lui.
C’est un peu par curiosité que j’ai acheté une place pour son concert à
Gaveau de ce soir, trente ans plus tard. Le programme est lui aussi une curiosité puisqu’il joue en un concert les deux concertos pour piano de Chopin dans la réduction (de Chopin lui-même) pour piano et quintette à cordes. Alors que les spectateurs entrent dans la salle, Pogorelich est déjà sur scène et il joue discrètement des accords et des arpèges lentes et un peu désordonnées. Il est à peine reconnaissable avec sa silhouette lourde, son visage émacié et son bonnet de laine qui cache son crane rasé.
Après le
Quartettsatz de Schubert, bien inutile début de programme, c’est le
Premier Concerto. Pogorelich entre en scène avec une démarche lourde et un sourire embarrassé. Il y a une longue négociation avec son tourneur de pages, au sujet de l’emplacement de ce dernier, afin de ne pas gêner les mouvements du pianiste et le pauvre tourneur, beau jeune homme blond à l’air timide, devra s’installer un bon mètre en arrière, l’obligeant à scruter la partition de loin et à se lever et à faire un pas à chaque changement de page. La partition a l’air antique, toutes les pages étant volantes. On aimerait qu’après une telle entrée en matière, le concert soit exceptionnel. Il n’en est rien. La balance entre le piano et le quintette est totalement déséquilibrée, Pogorelich jouant aussi fort qu’il le peut avec des contrastes exagérés, des arpèges se terminant systématiquement pour une note pointée, et un maniérisme totalement déplacé. J’ai hésité à partir à l’entracte, comme Alain Duhamel, mais je suis resté pour un
Second Concerto en tout point commun au premier et même pour le
bis du mouvement lent. Je suis rentré chez moi très triste.