Tout sur Safir II
Safir a peu dormi, puisque j’avais demandé le petit déjeuner à 7h30. Il s’est levé courageusement et m’a dit qu’il n’avait pas faim car il avait pris un sandwich gras vers quatre heures du matin (c’était donc cela, l’odeur de friture). A huit heures, nous sommes partis en voiture pour l’embarcadère de Grand Baie car nous avions réservé la veille une excursion en catamaran pour l’îlot Gabriel. Alors que nous attendions le départ, Safir a décrété que le rhum qui est habituellement offert à volonté pendant ces excursions n’était pas à son goût et il a trouvé dieu sait où une dizaine de bouteilles de
Smirnoff Ice. Il est arrivé avec son teint et ses cheveux vaguement orange (il se met de l’huile de carotte de la pointe des cheveux à la plante des pieds) et son grand sac de
Smirnoff Ice qui faisait des petits clings de bruit de verre. Il a bien sûr commencé des 8 heures à boire sa
Smirnoff devant les autres passagers ébahis. J’ai commencé alors lâchement à mener ma propre vie et dans la mesure où Safir parle avec n’importe quel inconnu comme s’il le connaissait depuis toujours, les autres passagers ont du penser au final qu’il voyageait seul. Je l’ai donc observé de loin sauter sur le filet de proue du catamaran, pousser des petits cris aigus l’index levé comme font les teufeurs de banlieue, appeler tout le monde
babache (sauf moi, le lui ayant interdit la veille).
L’îlot Gabriel est une merveille, un minuscule bout de terre entourée de mer turquoise et de bandes de sable blanc. Le ciel d’un bleu limpide est parcouru de paille-queue, élégants oiseaux blancs dont la queue est composée d’une longue plume blanche qui leur sert d’empennage raffiné.
Alors que j’étais déjà sur l’îlot depuis trente minutes environ, Safir est arrivé en boitillant. A force de faire le zouave sur le filet du catamaran, il avait glissé et s’était abimé les ligaments du genou gauche. Au lieu de se calmer, estimant qu’il connaissait parfaitement chaque parcelle de son corps, il a continué de bouger dans tous les sens, sans doute un peu anesthésié par les dix
Smirnoff Ice et par les rhums non comptabilisés qu’il a commencé à ingurgiter lorsque les stocks de
Smirnoff Ice se sont épuisés. Pendant l’heure de retour en catamaran, il est resté étendu au soleil sur le filet et les autres passagers, qui n’imaginaient donc absolument pas que nous nous connaissions en ont profité pour le chambrer. Ils s’étaient donné le mot pour le surnommer
Michael Vendetta et sortaient des blagues du genre : «
Michael il a quitté sa ferme en Afrique et il faut qu’il vienne polluer un seul bateau dans tout l’océan Indien : le notre ! »
De retour à Grand Baie, Safir-Michael avait vraiment de plus en plus de mal à marcher, je l’ai emmené à la pharmacie. On lui donné un onguent dont il a déclaré qu’il était inefficace car il avait toujours mal dix minutes plus tard. Il a mal dormi et fatalement moi aussi. De temps en temps il se réveillait pour aller boire une
Smirnoff Ice dont il est bien connu que la qualité anesthésiante est nettement meilleure que celle de n’importe quel onguent.