Une autre lettre
Ma journée se passe presque entièrement à Bruxelles où je négocie un contrat avec ma juriste facétieuse. Lors de quelques instants de pause, je commence à rédiger des passages de la lettre que je souhaite envoyer à G. La juriste, qui visiblement regarde de temps en temps mon écran me dit soudain: "
Mais tu écris une lettre d’amour!".
Rentré chez moi, je la mets en forme et, après avoir hésité, je me décide à l’envoyer:
Mon Nourson,
Cette lettre sera longue. J’ai tant à te dire…
Je t’écris parce que tu me manques.
Je t’écris parce que je suis triste.
Je suis triste de la situation dans laquelle nous nous trouvons depuis quatre jours. Je suis triste de ne plus voir tes grands yeux. Je suis triste de ne plus te parler. Je suis triste de ne plus savoir ce que tu deviens, de ne plus connaître tes peines et tes joies au quotidien. Je suis triste de ne plus être auprès de toi, les jours où tu es heureux, mais aussi et surtout, les jours où tu aurais besoin d’être consolé.
Ce que nous avons vécu depuis le 26 juin est à mes yeux un trésor si merveilleux que j’ai honte de ne pas avoir su le préserver. Je garde en mémoire chacun des quarante six jours où nous nous sommes parlés, que nous ayons été ensemble ou éloignés. Je n’oublierai jamais la fulgurance de notre rencontre, cette belle confiance totale qui nous a rapprochés, cette complicité, cette douce légèreté des instants passés ensemble, ce bonheur à se découvrir peu à peu, à devenir importants l’un pour l’autre.
En deux mois, j’ai l’impression d’avoir appris à te connaître plus intimement que certains de mes plus vieux amis tant nous nous sommes dévoilés l’un à l’autre et j’aime en toi tout ce que je peux connaître. Je ne voudrais rien changer en toi, absolument rien. Je veux te connaître et être ton ami tel que tu es.
Tu m’as dit que dimanche soir, j’avais enlevé le masque.
C’est faux.
Pendant chacun de ces jours passés près de toi, je ne t’ai jamais menti, je ne t’ai jamais tenu de propos calculé, je me suis confié à toi tel que je suis et en toute franchise. C’est ce que j’aime le plus dans notre relation et c’est ce que j’aimerais ne jamais changer.
Mon seul regret concernant notre histoire tient dans les propos échangés ces tous derniers jours. Je regrette chacun des derniers messages envoyés et je te demande pardon si je t’ai blessé.
Et je sais que je t’ai blessé.
En apprenant à te connaître, j’ai compris que tu es quelqu’un de particulièrement sensible, parfois fragile, incroyablement attentionné et je suis malheureux de ne pas avoir retenu des propos inutiles que je n’aurais jamais du t’adresser et que tu ne méritais aucunement.
Cette histoire encore si jeune que nous avons entamée ensemble, je ne veux pas croire qu’elle puisse s’arrêter si vite. Je suis sûr que tu voudras lui donner une chance de s’épanouir, je suis sûr que tu voudras me donner une chance de rester ton ami.
Je pense aussi à tout ce que nous devons faire ensemble, au
Garçon d’Italie et aux
Mémoires d’Hadrien que j’ai tant hâte de te lire, à nos voyages au Japon, au Brésil et à Bali, aux concerts auxquels nous devons assister ensemble, à mon anniversaire pour lequel j’aimerais tant que tu sois présent, à toutes les fois où nous irons ensemble chez Isami, à tout ce que je ne connais pas sur toi et que tu me diras peut-être, et même à
Carambar ou
Gutenberg qu’un jour, si Dieu le veut, nous choisirons soigneusement ensemble.
Le temps que j’ai passé ces derniers jours à penser à toi m’a permis de comprendre combien tu m’es important. J’ai aussi commencé à accepter l’idée de te laisser du temps, tout ton temps. Je ne veux pas fixer d’horizon autre que celui de mieux te connaître et de profiter du bonheur que ton amitié me donne.
A peine aurai-je envoyé ce message que j’espèrerai une réponse ou un appel. Puissent ces lignes te toucher. Je les ai rédigées avec tout mon coeur. Peut-être toi aussi, alors, voudras-tu m’aider à modifier le cours du temps, à laisser une chance à notre histoire et à me donner de nouveau ta confiance.
Je t’embrasse tendrement.
V.