Première rencontre
Au réveil, je regarde machinalement
lemonde.fr sur mon iPhone et j’apprends la mort de Michael Jackson. Une heure plus tard, j’en informe Felipe qui se réveille et qui accueille la nouvelle comme s’il s’agissait d’un cataclysme mondial. Nous prenons notre dernier petit déjeuner ensemble.
J’ai abandonné Felipe avec soulagement sur le Campo San Bartolomeo près du Rialto et j’ai visité la nouvelle Fondation Pinault de la Douane de mer. Le bâtiment resté désert et silencieux pendant si longtemps est une véritable merveille et il contient désormais des œuvres passionnantes ou amusantes à regarder. J’ai particulièrement aimé les deux statues aux allures de manga de Takashi Murakami. L’une
(My lonesome cowboy) représente un jeune garçon déluré qui balance une immense volute de sperme qui tourbillonne autour de sa tête. Et la jeune fille qui lui fait face
(Milk) produit elle aussi de ses deux seins deux jets de lait qui se rejoignent derrière elle. Il y a aussi ces reproductions de paysages dantesques où se tiennent des milliers de petits personnages, soldats, cadavres, têtes enfoncées sur des piques, vautours et qui semblent chanter un hymne à l’apocalypse à laquelle l’homme semble être destiné. Au deuxième étage, François Pinault lui même contemple une dizaine de catafalques de marbre qui contrastent avec les photographies de mode suspendues aux murs.
En sortant, j’envoie par MMS à G. une photo de la statue blanche du jeune garçon à la Grenouille qui est maintenant la figure de proue de la pointe du
Dorsoduro. Et puis aussi ces deux messages :
G.
Tu m'as pris de cours hier soir et je n'étais pas en pleine possession de mes moyens, c'était pas du tout gentleman ... Et en plus j'ai rêvé que j'écrasais des cafards...
V.
Il ne faut pas recommencer. Cela va nous ruiner en SMS ! Je suis dans le vaporetto en route pour l'aéroport. Je me rapproche de toi...
J'ai acheté deux poissons jumeaux thailandais en bronze et j’ai pris le vaporetto pour l’aéroport. Le vol
Easy-Jet avait trois heures de retard. Le chef de cabine était un garçon nommé Gilles avec qui j’ai déjà parlé sur Internet où il se prétend pilote, mais qui ne m’a évidemment pas reconnu.
Arrivé à Paris, je suis vite allé me changer chez moi et bien que n’ayant pas de nouvelles de G., je suis allé en métro près de chez lui de façon à ne pas être loin s’il était disponible.
Vers 20 heures il m’a contacté et nous sommes convenus de nous retrouver au métro Saint Paul. Il est arrivé quelques minutes plus tard. J’ai vu ses deux yeux immenses, il m’a salué un peu timidement et je lui ai proposé de marcher jusqu’à l’île Saint Louis. On s’est installés à l’écart, au fond de la salle d’un café très banal près du pont entre les deux îles. On est restés là pendant deux heures et quatre
Martini bianco. Il m’a dit beaucoup de choses sur lui, sur ses singularités, sans doute parce qu’elles auraient été plus difficile à annoncer plus tard et peut-être aussi pour voir comment je réagissais. Il m’a parlé aussi de sa relation qui se terminait sans être encore vraiment finie. Il y avait de la douleur et de la gravité dans ses propos. Je serais resté toute la nuit rien que pour le plaisir de regarder ses yeux immenses. Mais il devait rentrer. On a marché sur le quai, on a lu la plaque là où se tenait l’atelier de Camille Claudel, on a traversé le pont, on s’est dit au revoir au métro Saint Paul. Je ne me suis pas retourné en repartant. Je suis rentré chez moi dans le crépuscule.