Alma Rosé (1906-1944)
Alma Rosé est née le 3 Novembre 1906 et elle fut poussée musicalement dès sa naissance par son père Arnold Rosé qui lui-même, avait su s’élever grâce à son violon de la pauvreté en Roumanie jusqu’à la gloire à Vienne. Premier violon de l’orchestre Philharmonique de Vienne, Arnold Rosé avait épousé Justi, la sœur de Gustav Mahler qui était bien sûr alors le Directeur de l’Opéra. Le frère d’Alma Rosé, Alfred, était piètre musicien. C’est donc sur les épaules d’Alma que tomba la responsabilité du nom Rosé.
La fille de Gustav Mahler, Anna, la décrit comme une enfant vulnérable et adorable. Son père Arnold la lança à Vienne avec le
Double concerto de Bach. Très jeune, Alma tomba amoureuse d’un grand soliste, Vasa Prihoda, violoniste tchèque célébré dans toute l’Europe centrale avec la même ferveur que Heifetz en Amérique. Il épousa Alma en 1930 avec la bénédiction d’Arnold mais ils se séparèrent cinq ans plus tard, le divorce laissant Alma effondrée.
Elle avait fondé peu auparavant un orchestre de salon, les
Wiener Walzermädeln, composé uniquement de jeunes femmes et elle tomba rapidement amoureuse de Heini Salzer, grand blond timide de huit ans son cadet. En 1938 avec l’Anschluss, les Rosé étant juifs convertis au catholicisme, leur situation devint hasardeuse. Alma reçut l’aide d’Adrian Boult pour emmener son père, âgé de 73 ans à Londres. Heini les accompagna.
Alma prit un appartement à
Maida Vale, un quartier un peu au nord de Hyde Park, avec son père et Heini, mais un jour, elle découvrit alors qu’elle rentrait chez elle, que Heini s’était envolé pour Vienne. Le cœur brisé de nouveau, elle prit le risque de partir en 1939 pour la Hollande, qui était encore un pays neutre. Elle joua quelque temps là bas cherchant à entrer en contact avec Heini, mais celui-ci lui annonça par lettre qu’il s’était marié à Vienne.
Quand les Nazis envahirent la Hollande, la situation d’Alma devint de nouveau difficile. Elle donna des concerts dans des maisons privées, eut une brève histoire d’amour avec un officier nazi, puis accepta un mariage fictif afin de se protéger mais la couverture fut rapidement découverte. Plutôt que de se cacher, elle préféra partir sur les routes et tenter de rejoindre la Suisse. En décembre 1942, elle fut dénoncée à la Gestapo à Dijon, arrêtée, envoyée à Drancy et transférée à Auschwitz.
A son arrivée, elle fut envoyée au tristement célèbre bloc d’expérimentation médical de Birkenau, où une femme hollandaise la reconnut et indiqua aux SS qu’elle était une musicienne célèbre.
On lui donna un violon et on la chargea de prendre la tête d'un orchestre de femmes à l’effectif quelque peu disparate, chargé de jouer des airs joyeux matin et soir au départ et au retour des troupes. Alma dirigea son ensemble avec une intense discipline, sauvant parfois ses nouvelles recrues d’une mort imminente. Pour elle la musique était un idéal et un échappatoire. La qualité était sa récompense. Les SS l’appelaient respectueusement
Frau Alma. La vie s’écoula ainsi pendant un an.
En avril 1944, elle participa à une réunion d’anniversaire d’un responsable de bloc et en revint nauséeuse. De façon inhabituelle, on lui donna une chambre privée à l’hopital expérimental avec un vrai lit et elle eut même le privilège d'être visitée par l’atroce Docteur Mengele. Elle mourut deux jours plus tard, le 5 avril 1944.
Il est extraordinaire de noter que dans un lieu comme Auschwitz, ou des milliers de corps étaient gazés et brûlés quotidiennement, le corps d’Alma fut exposé comme pour des obsèques, puis autopsié avant crémation. Il est fort probable qu’Alma mourut de botulisme après avoir mangé une nourriture avariée. Elle avait 37 ans.
Un matin de 1945, deux religieuses en noir frappèrent à la porte du vieil Arnold Rosé à Blackheath et lui remirent une boîte à violon avant de repartir sans un mot. La boîte contenait le précieux Guadagnini d’Alma de 1757. Il avait été caché par des amis hollandais d’Alma qui le restituèrent ainsi à Arnold. Celui-ci le vendit au premier violon d’origine viennoise du
Metropolitan Opera de New York où il résonna pendant plus de vingt ans.
Cette courte biographie est en grande partie traduite d'un article de Norman Lebrecht de La Scena Musicale