Un concert au Conservatoire Tchaikovski
Il y a longtemps que je voulais assister à un concert dans cette salle mythique, sans doute depuis le retour que Vladimir Horowitz y fit en 1986, retour que je suivis passionnément, sans doute aussi depuis cette promenade où je n’avais pu qu’admirer le bâtiment de l’extérieur. Mon ami Andrey qui m’avait pris les places m’avait pourtant bien spécifié que le concert n’avait pas lieu là, mais dans une salle moderne, s’appelant elle aussi Tchaikovski et située au métro
Mayakovskaya. "
C’est là que j’ai acheté les billets" m’a-t-il dit pour achever de me convaincre. C’est donc devant la statue de Mayakovski que nous nous sommes retrouvés avec ma collègue à 18h45. Alors que nous pénétrons dans la salle, l’ouvreuse nous fait comprendre que c’est un autre concert qui a lieu ici. Je comprends évidemment aussitôt et nous ressortons, marchons sur le grand Boulevard
Sadoyava, trouvons miraculeusement un taxi qui, pour un prix étonnamment modique, nous dépose devant le Conservatoire Tchaikovski à dix neuf heures pile. Il y a foule, tous les spectateurs sont massés dans le couloir qui entoure la salle à l’intérieur de laquelle l’orchestre répète encore ce qui sera le bis du concert.
Le concert commence finalement avec une demi-heure de retard. Je suis heureux et ému de me trouver dans cette salle blanche au célèbre arc de scène et dont les portraits des grands compositeurs ornent les murs.
L’orchestre Symphonique de la Nouvelle Russie, dirigé par Youri Bashmet joue une magnifique
Inachevée de Schubert, incomparablement plus belle que celle entendue récemment à Amsterdam. Youri Bashmet cisèle le son de ses musiciens comme un orfèvre, obtient des contrastes sublimes sans en faire trop. Je suis juste surpris par la sècheresse de l'acoustique.
Après avoir entendu il y a un mois le second concerto pour violon de Sofia Gubaidulina, j’écoute maintenant le premier,
Offertorium, interprété par Viviane Hagner. C’est un bavardage inutile sur des thèmes de l’
Art de la fugue dont je me demande toujours ce qu’il peut bien avoir d’un Offertoire.
Ma collègue et moi passons l’entracte à admirer les spectateurs au look souvent hallucinant, qu’il soit rustique -de la campagne-, ou sophistiqué - de la campagne également-. Il y a en particulier une dame à la coiffure invraisemblable, une raie horizontale sur le devant de la tête et qui lui donne l’impression d’avoir le front poilu.
La deuxième partie du concert est dédiée à l’une de mes œuvres fétiches,
Harold en Italie, dirigée de l’alto par Youri Bashmet dont c’est une des spécialités. Dès l’entrée de l’alto, la salle sait qu’elle va vivre un moment de générosité exceptionnelle, offert par la chaleur incroyable du magnifique instrument de Bashmet.
En bis, l’orchestre nous offre une musique de film en cours d’enregistrement et aux allures de
Donauwellen. Je suis surpris par la froideur des moscovites qui applaudissent peu longtemps et du bout des doigts. Pourtant de nombreux spectateurs portent au chef un bouquet de fleurs acheté sans doute dans la journée et que Youri Bashmet, dont les bras sont vite plein à ras bord, accepte avec le sourire.
Ma collègue et moi allons dîner à la petite brasserie qui fait l’angle devant le conservatoire et où je me régale d’un bortsch et d’un petit gâteau de crabe.