17416ème jour
Raymond Barre et Yasmina Reza
Raymond Barre est mort la nuit dernière. Dans le déluge des éloges posthumes, personne n'a rappelé qu'il était un amateur passionné de musique. Il me semble me souvenir qu'il s'était fait taper sur les doigts alors qu'il était Premier Ministre, pour avoir utilisé des avions du GLAM afin de se rendre au festival de Salzbourg. C'est l'un des rares hommes politiques que j'ai souvent aperçu au concert et je me souviens notamment de ce concert de Claudio Abbado au Théâtre des Champs Elysées au cours duquel Alfred Brendel était venu partager sa loge pour la deuxième partie.
C'est donc le jour de sa mort que j'ai lu le dernier livre de Yasmina Reza, paru deux jours plus tôt. On pourrait penser que rien ne relie l'auteur dramatique et l'ancien Premier Ministre et pourtant, dans
Hammerklavier, son ouvrage que j'ai préféré à tous les autres, Yasmina Reza nous raconte la rencontre suivante:
Un jour de février 1987, j'étais alors inconnue, je déjeune avec mon père chez Lipp.
Auparavant j'avais acheté un exemplaire de ma première pièce qui se jouait depuis peu à la Villette. J'avais écrit une petite dédicace pour son ami Arthur et mon père avait glissé l'exemplaire dans sa poche en sortant du restaurant. "Où vas-tu?
- Chez moi.
- Je te raccompagne à pied", me dit-il.
Nous marchons côte à côte rue de Rennes, quand tout à coup apparaît en sens inverse, un homme engoncé dans un manteau gris légèrement court.
"Regarde qui voilà!" s'écrie mon père. Je reconnais Raymond Barre. Mon père s'est arrêté, sourire rayonnant, corps prêt à accueillir l'ami intime.
"Il le connait?" me dis-je, sûre du contraire.
Raymond Barre est déjà devant nous.
"Monsieur Barre, dit mon père en lui prenant chaleureusement la main, permettez moi de vous présenter ma fille Yasmina, le grand auteur dont tout le monde parle!"
Un rien désemparé, Raymond Barre me salue avec politesse.
"Monsieur le Ministre, bafouillé-je, ne vous sentez pas du tout obligé de...
- Si... si... Il me semble en effet... En tout cas, je vous félicite..."
Ravi et sourd à ces embarrassements, mon père sort de sa poche (à mon horreur, va-t-il lui offrir l'exemplaire dédicacé à Arthur?) le livre dont il exhibe le titre pour confirmer une vérité sue de tous.
Raymond Barre hoche avec bienveillance. Mortifiée, je répète: "Ne vous sentez pas du tout obligé... Mon père ne réalise pas...
- Pas du tout... Le titre en effet...
- Sais tu, interrompt mon père comme un homme d'esprit qui ne veut pas s'attarder sur une cause entendue, sais-tu chérie que comme nous, Monsieur Barre est un grand amateur de musique! N'est-ce pas Monsieur le Ministre?" Et avant que j'aie pu méditer sur ce virage inopiné et sur le reste, papa entonne d'une voix sonore, ample et ostensiblement musicale les premières mesures du quintette K.615 de Mozart: "Tarilalalala tirilalalala..." A peine commence-t-il à développer le thème que Raymond Barre entre à la cinquième mesure : "Tirilalalala..." D'une voix également affirmée, il module spontanément et sans souci du reste de l'univers sous la houlette des mains gantées que mon père, premier violon, agite dans les airs.
Ceux qui passent ce jour de février 1987, rue de Rennes, à hauteur du Monoprix qui bientôt n'existera plus, dans le froid gris et le bruit des voitures, voient, manteau de loden beige et manteau de laine grise, toque d'astrakan et feutre dodelinant, deux amis chanter Mozart.
Trois minutes avant, ils ne se connaissaient pas, à la fin du duo ils se serreront la main et ne se reverront jamais.
Yasmina Reza -
Hammerklavier
Même s'il n'est pas mon préféré des quintettes à cordes de Mozart, j'écoute souvent le
Köchel 516, modèle d'équilibre. Et à chaque fois, au début de l'
Allegro initial, passage diablement difficile à chanter juste, je pense à Raymond et au père de Yasmina qui doivent désormais poursuivre tranquillement leurs duos vocaux.
:: comments
Nooooon ?
zvezdo | 27.08.07 @ 20:39 >
si!
gvgvsse -
email| 27.08.07 @ 20:45 >
j'adore toutes ces histoires que vous racontez...
merci!
Ps Louis est aussi mon prénom préféré...
moderato.cantabile -
email| 27.08.07 @ 22:49 >
Hmmm, Raymond Barre... ce ne sont pas toujours les meilleurs qui partent les derniers... Qu'en aurit pensé Maurice Papon ?
Guillaume C. -
email| 29.08.07 @ 16:37 >
Je ne pense absolument pas que Raymond Barre ait été un rien antisémite...
gvgvsse -
email| 29.08.07 @ 17:06 >
À l'opéra de Lyon, premier balcon de face, il s'endormait à la cinquième mesure de l'ouverture. À moins que...À la mairesse du 7ème arrondissement, réputée vulgaire et brutale, alors qu'elle se plaignait d'un énième piquage du nez au cours d'une de ses interventions, il avait lancé, de sa belle voix de nounours, n'ouvrant pas même un oeil : "Hélas pour moi, Madame, je ne dors que d'une oreille".
*Hirek, everybody loves Ray
hirek -
email| 31.08.07 @ 11:53 >
ahahah :) il etait réputé bien dormir à l'assembléeé aussi...
gvgvsse -
email| 31.08.07 @ 14:47 >
Je n'ai pas dit qu'il était antisémite... pas de raccourcis SVP. Mais parler de la "dignité" et du "courage" de Maurice Papon, si ce n'est pas de l'antisémitisme, c'est quand même bien dégueulasse.
Guillaume C. -
email| 04.09.07 @ 14:06 >
oh... certains salauds sont tres dignes et tres courageux non?
gvgvsse -
email| 04.09.07 @ 19:11 >
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