Une nuit étrange à Bratislava et un lever de soleil au Kahlenberg
Il est apparu de l'autre bout de la place. Je ne me rappelais pas qu'il était aussi grand. Dix centimètres de plus que moi. On a fait un petit tour dans le centre historique qui a ses airs de petite Prague avec ses magnifiques bâtiments au style Marie-Thérèse. Il ne faisait pas très chaud, on est entrés dans un restaurant japonais et on a commandé un plateau de sashimis et sushis. Je pouvais l'observer à loisir alors qu'il me faisait face, ses grands yeux en amande, ses longs cheveux blonds, son sourire incroyable. Un peu plus tard un de ses amis, qui habite Londres et s'appelle lui aussi Marek, nous a rejoint et on a passé tout le reste de la soirée ensemble. J'ai beaucoup bu au cours de cette nuit et je ne me souviens pas de tout. Je me souviens avoir bu pour la première fois de l'absinthe dans un bar un peu glauque. Je me souviens que pour faire passer l'absinthe, nous avons bu aussitôt une sorte de soda slovaque qui s'appelle
Vinea. Je me souviens que Marek m'a demandé de dire à l'autre Marek un truc en slovaque qui sonnait comme
akéo mach velkéo et que l'autre Marek m'a répondu "
it's not your business" Je me souviens que ça les amusait beaucoup de m'envoyer le dire à des types bizarres, suscitant des réactions variées. Je me souviens avoir compris au bout de deux ou trois fois que ça voulait dire "
elle mesure combien ta bite?". Je me souviens que nous sommes allés dans une petite boîte de nuit dans un dédale de caves près du Danube. Je me souviens qu'on y a bu des quantités invraisemblables de
vodka-Red Bull. Je me souviens que j'ai dansé longtemps avec Marek. Je me souviens qu'on a fait tous les deux la fermeture de la boîte. Je me souviens qu'on a marché jusqu'à ma voiture dans les jolies rues du centre et que dans la nuit, je lui chantais
les feuilles mortes. Je me souviens qu'on a roulé dans la banlieue de Bratislava et qu'il avait sa main dans la mienne. Je me souviens que je l'ai serré dans mes bras et que je l'ai vu s'éloigner vers le grand immeuble où il habite. Je me souviens que j'avais un peu envie de pleurer alors que j'ai repris la route de Vienne.
J'ai passé la frontière autrichienne vers cinq heures du matin. J'ai traversé Vienne en parcourant le ring. De mémoire, j'ai repris la route de Grinzing en tatonnant un peu. Je suis monté jusqu'au
Kahlenberg où j'ai assisté tout seul au lever de l'immense disque orange du soleil au dessus de la ville et de Heiligenstadt. C'était si beau que j'avais envie de pleurer. J'ai redescendu le
Kahlenberg. Je me suis arrêté à Grinzing pour aller me recueillir une nouvelle fois devant cette tombe que j'ai déjà visitée trois fois. Il n'y avait personne dans le petit cimetière. J'ai chantonné
Liebst du um Schönheit mezza voce devant la tombe et je m'en suis allé. J'ai pris un petit déjeuner viennois au café
Schwarzenberg sur le ring et je suis allé reprendre l'avion de Paris.