Keith Jarrett à Pleyel
A peine revenu de Dijon, je file à la fnac Saint Lazare où Louis fait un petit show case. J'arrive très en retard. Il est là, dans un caban bleu avec dorures devant un parterre de jeunes filles en pamoisons. J'ai juste le temps d'entendre
Mon bel assassin et une chanson assez drôle qu'il a écrite suite à la chute d'une de ses amies depuis un huitième étage. Il s'en va avec son beau sourire triste.
Je pars aussitôt à pied en direction de la salle
Pleyel où a lieu un concert complet depuis des mois, le deuxième récital de Keith Jarrett. Des vendeurs à la sauvette proposent des billets à 150 euros devant les portes. Le premier récital a eu lieu trois jours plus tôt, il devait être enregistré mais il a été l'objet d'une lutte entre le pianiste et son auditoire toussotant et éructant, rendant impossible toute publication. On nous annonce donc que c'est cette deuxième soirée qui sera publiée et on nous demande expressément de veiller à ne pas faire de bruit. Et de fait il m'est rarement arrivé de me trouver au milieu d'une assistance aussi discrète et attentive. La salle est plongée dans l'obscurité, il y a juste un rond de lumiière autour du Steinway. Keith Jarrett entre en scène, habillé sobrement de gris avec ses petites lunettes de soleil. Je reste partagé par ce concert tant j'ai trouvé inégal ce que j'ai entendu. Mais le genre même de l'improvisation n'est-il pas fatalement inégal, tant il doit être impossible sur une telle durée que l'imagination soit toujours au rendez vous, même si celà arrive parfois, comme pour le
Köln Concert et surtout le récital de
la Scala. Il y a donc des passages qui ressemblent tout simplement à du piano bar de luxe, d'autres pièces denses et virtuoses où le public a parfois un peu de mal à suivre, et puis des improvisations de génie, mélange de rythme lancinant et de tendresse totale.
Et puis il y a le personnage Jarrett, attachant et irritant à la fois, un rien cabot, parfois à la limite de la grosse tête. Ainsi, entre deux des nombreux rappels, harangue-t-il le public en demandant à ce que tous ceux qui ont un appareil le prennent immédiatement en photo. On ne sait s'il s'agit d'une pure provovation pour énerver l'administration de la salle qui vient de demander l'inverse, où simplement s'il est agacé de ceux qui le mitraillent malgré la consigne.
Je quitte la salle en appelant Safir.