Bonheur fané I
Je vous ai déjà dit que la maison de mon enfance était un chalet blotti dans les monts d'Auvergne. Mes parents avaient toujours une inquiétude face à l'éventualité d'un incendie qui aurait sans doute réduit la maison en cendres en un temps assez court. Je me souviens notamment que ma mère disait souvent que dans un tel cas, on regrette le plus d'avoir perdu, non pas les biens matériels, mais sans doute les souvenirs personnels et notamment les photos de famille, bref, tout ce qui est irremplaçable.
Quelques années plus tard, à l'âge de 72 ans, mes parents ont pris une décision qui m'aurait fait rire si elle ne m'avait pas fait pleurer : celle de divorcer. Leur séparation s'est de plus déroulée dans un climat de haine et de mesquinerie proportionnel à la longueur de leur vie commune. Ma mère a jugé utile, dans un geste théâtral, d'aller jeter rageusement son alliance dans le lac de Thun (Suisse). Et puis un soir, elle a eu la bonne idée de prendre la vingtaine d'albums de photos de famille, d'enlever toutes celles ou mon père figurait pour les brûler dans la cheminée et de découper quelques figures mixtes devenues indésirables.
Que reste-t-il de nos amours ?
Que reste-t-il de ces beaux jours ?
Une photo, vieille photo
De ma jeunesse.
Bonheur fané, cheveux au vent,
Baisers volés, rêves mouvants...
Que reste-t-il de tout cela,
Dites-le-moi.