15919ème jour

C'est con la vie II

Aujourd'hui, j'ai vécu un moment assez surréaliste. J'ai déjeuné avec mon père qui rencontrait pour la première fois sa petite fille, ma nièce de neuf ans.
Ce moment m'a donné envie de relire le dernier courrier que j'ai adressé à mes parents, voilà cinq ans :

Cher papa,
Chère maman,

Je ressens le besoin de vous écrire pour vous faire part de mes sentiments vis à vis des événements que vous êtes en train de vivre. J’ai d’abord pensé vous adresser deux courriers séparés mais je me suis vite aperçu que le message que je souhaitais vous faire parvenir est le même. Ce que je ressens vis à vis de votre séparation tient en un seul mot : la tristesse. Je suis triste à la pensée que vous n’avez pas été heureux ces dernières années. Je suis triste en imaginant que vous ne serez peut être pas heureux non plus séparés. Je suis triste de vous voir commettre des actes contraires à l’éducation que vous nous avez donnée et donc contraires à vos valeurs. Je suis triste à l’idée d’annoncer cela à mes filles qui n’iront plus chez «grand-père et bon-maman». Je suis triste à la perspective de voir tous nos souvenirs heureux –car il y en a- s’émietter dans un passé que vous ne souhaiterez plus évoquer ni l’un ni l’autre.

Je ne chercherai pas à déterminer vos torts respectifs dans l’échec de votre couple. Ce n’est pas le rôle d’un fils. Je suis persuadé en revanche, qu’après cinquante ans de vie commune, la responsabilité de cet échec ne peut être que totalement partagée entre vous. Vous n’avez pas su vous aimer, vous n’avez pas su vous parler, et cependant, l’amour et l’échange sont les deux points essentiels à une vie de couple. En disant cela, je ne vous condamne pas. (...) Je sais combien il est facile de dévier de la route, de s’emmurer dans le silence, ou, par la force de l’habitude, de ne plus avoir envie de séduire, de faire plaisir, de s’intéresser à l’autre.

Voilà pour le passé. Regardons l’avenir.

Les mois qui arrivent vont être difficiles. Je souhaite seulement qu’à la douleur de la séparation, vous n’ajoutiez pas la haine. Vous semblez désormais tous les deux avoir la volonté de vivre séparément. Vous avez largement les moyens financiers d’y parvenir. Je souhaite donc que vous obteniez ensemble un accord équitable dans un esprit de dignité et sans commettre d’actes ni prononcer de paroles que vous regretteriez fatalement ultérieurement. Il me semble normal que vous arriviez à vous conduire en adultes et en parents au cours de cette séparation. Si vous ne voulez pas le faire pour vous, faites le pour vos enfants : épargnez nous de voir la haine s’installer entre vous.

Pour la période qui débutera au moment de votre séparation, oserai-je espérer que d’un mal, il ressorte un bien ? Pourquoi ne serait-il pas possible que sur la base d’un juste accord entre vous, vous parveniez à faire séparément ce que vous n’aviez plus envie de faire ensemble. Je vois tant de retraités heureux profiter pleinement de la dernière phase de leur vie en réalisant tout ce qu’ils n’ont pas encore pu faire. Comment imaginer que vous n’avez pas de projets ? J’espère que nous arriverons encore à vivre des moments heureux avec chacun d’entre vous.

En ce qui concerne cette même période, j’ai deux demandes à formuler : la première est que vous ne disiez jamais de mal l’un de l’autre, et en particulier à mes filles. Elles ne le comprendraient pas et encore une fois, pourquoi ajouter la haine à la douleur de la séparation ? Ma seconde demande est que vous participiez l’un et l’autre aux événements familiaux qui se dérouleront dans les années à venir. Il me paraît normal que vous l’acceptiez. Je me rends compte en formulant ces deux demandes que je ne vous laisse en fait aucun choix quant à la réponse. Je n’accepterai aucun refus, ni pour l’une, ni pour l’autre.

Je souhaiterais achever cette lettre en vous disant que je vous aime. Il est surprenant de constater que, par une étrange pudeur familiale, nous nous disons rarement que nous nous aimons, sauf lors de tristes événements. Et pourtant, en écrivant cette lettre, je ressens profondément que je vous aime l’un et l’autre. Comment expliquer la tristesse qui est la mienne sinon par ce sentiment ?

Je vous aime.
@ 17:42 | >

:: comments

Belle lettre, bons sentiments.
Édouard - email - url| 22.07.03 @ 23:33 >
 
Et ils en ont pensé quoi?
K - url| 23.07.03 @ 05:22 >
 
ils se sont appliqués à faire strictement l'inverse.
gVgVssE - email - url| 23.07.03 @ 10:26 >
 
Un talent certain pour l'écriture, gvgvsse ! Difficile de faire mieux.
Tatou - email - url| 23.07.03 @ 13:39 >
 
Autant de talent pour l'ecrire, tant de choses exprimées et condensées pour aller à l'essentiel, en ecrivant la moitié de ces mots, je n'aurai jamais eu tant de force. Sincèrement. Hristou
hristou | 25.07.03 @ 14:47 >
 
ils se sont appliqués à faire strictement l'inverse
Cela ne m'étonne pas. Peut-on divorcer à 72 ans sans avoir accumulé une somme de rancœurs qui explose soudain au grand jour, est-ce qu'on ne divorce pas pour justement pouvoir enfin laisser exploser cette violence?
J'ai lu ailleurs la réaction de ta mère, l'alliance, les photos... Cette destruction des photos est terrible, c'est nier aux autres le droit aux souvenirs.
Mais je peux imaginer le désespoir de cette femme à 72 ans, se disant que si elle avait divorcé plus tôt, sa vie aurait été autre, à elle, se disant qu'il est trop tard, se demandant si tout cela valait la peine, l'impression d'avoir été flouée (ce qui n'empêche pas, bien sûr, de prendre en compte sa responsabilité: elle aurait pu réagir avant).
La colère, je ne vous apprends rien, est souvent le signe d'un sentiment d'impuissance insupportable.
Alice - email| 10.02.05 @ 10:36 >
 
C est tres bien ecrit (je trouve)et beau, j aurai aimais pouvoir demender sa a mes parents quand ils on divorce.
Mais ils n auraient pas compris a mon avis, et qui ecoute une fille de 9 ans (c etais il y a lontemp)
votre lettre est tres belle alors merci
Salem la melencolique
Ariane - email| 19.11.06 @ 13:45 >
 

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